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Musées et patrimoine: dans tout le Canton, même à Rumine!

Jean-François Cavin
La Nation n° 2126 5 juillet 2019

Mme Cesla Amarelle, conseillère d’État en charge de la culture, veut nous faire aimer le Palais de Rumine. Pour l’intérieur, ce n’est pas mission impossible. Malgré la tristesse rectiligne et sombre de l’escalier principal, malgré l’improbable lacis, à mi-hauteur de l’édifice, de demi-rampes conduisant à de courtes voûtes menant à d’autres demi-rampes débouchant sur on ne sait quel demi-étage, il y a d’agréables endroits. La salle de lecture de la Bibliothèque cantonale est bien proportionnée et propice au travail. L’espace central, bien aéré, avec sa gracieuse colonnade rose, est fort plaisant et n’attend que le retour de poissons rouges dans la pièce d’eau pour retrouver tout son charme. C’est l’extérieur qui pose un problème insoluble, à cause du style florentin tardif de son architecture, parfaitement incongru en ce lieu, sous la cathédrale, l’Ancienne académie et le château. Mais c’est comme ça: le caractère des villes tient aussi à des égarements qui témoignent du goût erratique des bâtisseurs et des populations. Il est d’ailleurs plus sage d’accepter l’inévitable que de s’épuiser en vaines jérémiades sur les aberrations du passé.

Mme Amarelle veut aussi confirmer ce qui existe en conservant à Rumine les musées scientifiques. Son choix inverse partiellement la tendance précédente du Conseil d’Etat, qui envisageait de déplacer le Musée d’archéologie et d’histoire à Avenches, pour le réunir au futur Musée romain qu’on créera dans cette cité, plus vaste et mieux équipé que dans l’actuelle tour des arènes. Cette nouvelle option «pro-lausannoise» n’est pas du goût de chacun et M. Claude Ansermoz, dans un éditorial de 24 heures, déplore que l’on concentre ainsi l’effort culturel au chef-lieu, au détriment des autres parties du canton.

S’agissant de ce projet particulier, nous avons de la peine à le suivre. Le Musée cantonal d’archéologie et d’histoire n’est pas dévolu particulièrement à la période romaine; il présente des objets venus de toutes les régions du canton et rend compte de notre préhistoire et de notre histoire dans son ensemble. Du point de vue de sa fréquentation, il est largement justifié de le maintenir là où se trouve la plus grande partie de la population vaudoise et où de nombreuses familles peuvent le visiter les dimanches de pluie; elles ne braveraient pas l’averse ou la froidure pour gagner l’extrémité septentrionale du canton. Avenches, profilant son offre sur la période romaine avec les atouts de son site, la couplant peut-être avec celle des belles mosaïques de Vallon (c’est sur Fribourg, mais qu’importe), avec une présentation renouvelée de ses vestiges et de sa fonction dans l’Helvétie romaine, a de quoi attirer un large public et d’innombrables courses d’école.

De façon plus générale, M. Ansermoz n’a cependant pas tort. Le Canton de Vaud, qui n’est pas un canton-ville, mais un canton-pays, doit maintenir l’équilibre entre le développement et l’attrait de toutes ses composantes. La capitale ne doit pas éclipser les autres cités, qui se portent d’ailleurs assez bien sur le plan culturel grâce aux forces locales et régionales. Mais l’Etat doit leur prêter main forte; en matière patrimoniale et culturelle, il peut faire mieux qu’aujourd’hui et doit réorienter quelque peu son action.

A l’abbatiale de Payerne, sanctuaire roman majeur de Suisse et d’Europe, des travaux techniquement originaux et délicats, forcément très coûteux, ont dû être entrepris pour stabiliser l’édifice. Parce qu’il est en propriété communale, l’Etat ne voulait pas verser grand-chose; il a fallu batailler ferme pour obtenir un subventionnement décent. Observons à ce propos que la loi laisse une liberté totale à l’autorité cantonale quant au subventionnement des monuments historiques appartenant à des tiers.

A Orbe, les mosaïques de Boscéaz, d’un intérêt historique certain par leur appartenance à l’une des plus grandes et luxueuses villas romaines du nord des Alpes, et d’ailleurs d’une grande beauté et, partiellement, dans un excellent état de conservation, ne sont pas mises en valeur comme il conviendrait, malgré les efforts méritoires de l’association locale qui n’aura jamais les moyens de mener à chef un projet d’envergure. Mais l’Etat ignore largement les besoins de ce site.

A Mézières, le Théâtre du Jorat a dû pendant des décennies se contenter d’un appui cantonal ressemblant à une aumône, alors que c’est un haut lieu de la culture populaire de qualité, réunissant Vaudois des villes et Vaudois des champs.

A Moudon, le Musée Eugène Burnand, bien installé dans une belle maison historique de la ville haute, se voit menacé d’expulsion par l’Etat, propriétaire des murs, pour en faire on ne sait trop quoi.

L’association propriétaire du château de La Sarraz a dû vendre tous ses biens annexes pour restaurer et entretenir à grand-peine le monument principal, qui est resté longtemps en situation précaire en attendant enfin le secours bienvenu de l’Etat. Au château d’Aigle, ce sont les forces du crû qui ont accompli l’essentiel du travail de réhabilitation, mais elles pourraient s’épuiser.

On ne saurait sous-estimer le soin que l’Etat prend de ses propres monuments, au premier rang desquels la cathédrale, le château de Chillon et le château Saint-Maire, récemment fort bien restauré, ni l’importance des crédits alloués à ce patrimoine de première importance. Quant au «pôle muséal» des beaux-arts et des arts appliqués, à la gare de Lausanne, encoigné entre les rails et les murs de soutènement du quartier voisin, avec son bâtiment principal en banal parallélépipède rectangle, sans possibilité pour le visiteur de garer sa voiture, il coûte fort cher à la caisse cantonale malgré les appuis privés; notre manque d’enthousiasme envers cette réalisation ne nous empêche pas de souhaiter le succès de ses collections. Nous n’ignorons donc pas tout ce qui se fait et se fera grâce au Canton, mais nous soutenons l’idée que l’équilibre doit être mieux assuré entre les institutions de la capitale et les autres trésors du vaste pays vaudois.

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