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Le Jésus de Daniel Marguerat

Yves Gerhard
La Nation n° 2130 30 août 2019

Voici un ouvrage fondamental, essentiel sur la question. Fruit de cinquante années d’étude et de réflexion sur le Nouveau Testament, et de trois ans de lectures intensives avant de rédiger la première page, Vie et destin de Jésus de Nazareth (Ed. du Seuil) est le chef d’œuvre du professeur sur les problèmes posés par le Jésus historique. Daniel Marguerat se présente, sur la couverture, comme «historien et bibliste», et c’est bien en tant que tel, et non en théologien, qu’il traite le sujet. Il répondra à toutes les questions que vous pourriez vous poser sur le personnage historique, mais ne cherchez pas, par exemple, son rôle dans la Trinité, sa double nature divine et humaine, et tout ce que la théologie chrétienne a élaboré à partir des Écritures.

Pour l’auteur, Jésus reste célibataire, car il est né hors du cadre normal de l’union conjugale telle qu’elle est prévue par la Thora; il est donc mamzer, ce qui est une situation incongrue dans la société de l’époque. Mais l’idée que ce célibat représente une consécration totale à sa mission, à sa vocation voulue par Dieu, ne l’effleure pas.

Cette limite étant établie, il faut reconnaître que le sujet est présenté dans toutes les dimensions possibles de sa vie: le disciple de Jean le Baptiseur, le guérisseur, le maître de sagesse, le prophète du Royaume, le contestataire des traditions juives (par un juif, ce point essentiel est largement souligné). Son arrestation, son procès et sa crucifixion font l’objet de développements très précis, de façon à reconstituer dans le détail le déroulement exact des faits. Dans ces divers sujets, l’éclairage se focalise sur les données les plus anciennes des Évangiles, explorées avec méthode, et dans les moindres recoins du texte qui permettent d’entrevoir le «vrai Jésus». Il s’agit de «décaper soigneusement les informations évangéliques», car les textes du Nouveau Testament portent tous la marque de la théologie de leur auteur, de son dessein et de son public cible, et ils ont été rédigés, bien entendu, après la résurrection, donc réinterprétés après coup. Mais le professeur Marguerat connaît et utilise aussi largement que possible les textes historiques, tant juifs que païens, les données de l’archéologie, les inscriptions, les apocryphes et les textes intertestamentaires. Les renseignements ainsi glanés dressent un portrait rigoureusement établi des divers aspects de la vie du Christ. Le chapitre sur les titres donnés à Jésus, justement «Christ», mais aussi «Fils de l’homme», «Seigneur», etc., est particulièrement éclairant.

La reconstruction de la vie de Jésus s’appuie, nous l’avons dit, sur une érudition sans faille: des milliers de références bibliques, une bibliographie de douze pages qui donne les titres les plus récents, une connaissance approfondie du contexte historique. Et cela n’entrave en rien la lecture, qui reste passionnante d’un bout à l’autre, dans une langue accessible, sans jargon technique ni développement oiseux ou embarrassé. Certaines affirmations sont mises en italiques, pour insister sur les étapes essentielles du raisonnement. Devant les questions sur lesquelles les savants se disputent, les solutions proposées s’imposent souvent comme des évidences, preuve que le lecteur est bien guidé. L’enchaînement des parties et des chapitres est soigné: l’ouvrage est à la fois savant et pédagogique. Plus, il est une somme.

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