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Un philosophe contre l’avortement

Lars Klawonn
La Nation n° 2133 11 octobre 2019

Briser les tabous. C’est un des slogans fondateurs de la gauche libérale moderne. Des tabous, elle en a brisé. Et des tonnes. Là-dessus, elle était efficace. En même temps, elle en a aussi créé des nouveaux. C’est son point aveugle. Si on cherche ne serait-ce qu’à discuter certains de ses «acquis» du «progrès social» vers plus de «justice et d’égalité», et contre la vilaine «société autoritaire et patriarcale», les réactions prennent assez vite un tour violent. Cécité hystérique. Je cite en vrac, la liste est longue, les droits de l’homme, l’antiracisme, la contraception, la peine de mort. Dites que l’homosexualité est contre nature, critiquez publiquement l’islam, l’antimilitarisme, le féminisme et le droit au divorce, défendez le célibat des prêtres et le port d’armes et, immédiatement, les coalitions de la défense de la liberté d’expression, c’est-à-dire l’écrasante majorité des médias, de la politique et de l’économie, vous marquent au fer rouge du sceau de l’infamie. C’est indéboulonnable comme stratégie.

Pour ces moralisateurs de supérette, la liberté d’expression, comme tout, est relative et dépend toujours des fameuses «circonstances». En clair: si vous n’êtes pas dans le droit chemin, on vous fera comprendre vos égarements à coups de boycott des médias, de révision du code pénal, et de licenciement. Rien de plus efficace, en effet, pour faire taire un homme qui ne pense pas comme il faut que de le priver de ses subsides.

Cela est arrivé à Stéphane Mercier. Mal lui en a pris de mettre en cause un autre sanctuaire de la chimère gauchiste, à savoir le droit à l’avortement. L’histoire est connue. Le docteur en philosophie chargé des cours à l’Université catholique de Louvain, en Belgique, a été suspendu de ses fonctions, suite à la pression du lobby LGBT. Motif de son éviction: dans un de ses cours, il a osé tailler en pièce le «droit de choisir l’avortement» par la méthode de la déduction logique, un argumentaire en béton démontrant que «l’avortement consiste à tuer délibérément une personne innocente, en l’occurrence un être humain qui se trouve encore dans le ventre de sa mère».

Le livre qu’il a publié par la suite1 est la transcription exacte du cours incriminé que Mercier a donné en février 2017, et augmenté d’une postface très instructive. Dans l’avant-propos, il explique les raisons qui ont mené à son licenciement. Non seulement épinglé par la presse et les réseaux sociaux, mais surtout trahi par le rectorat qui lui reprochait d’être «en contradiction avec les valeurs portées par l’Université», il écrit: «Les valeurs d’une Université catholique seraient donc de s’opposer à la libre expression de la vérité, en conformité, qui plus est, avec l’enseignement explicite de l’Église?» L’incohérence de la direction de l’Université est tellement flagrante que cela se passe de commentaire.

Le livre de Mercier est une sorte de traité philosophique. L’argumentation qu’il présente est totalement dépourvue d’émotion et conduite par la plus grande rigueur logique. La force du livre est d’avoir répondu à la question de savoir en quoi consiste le droit de toute personne innocente à la vie et en quoi ce droit entre en collision frontale avec le droit à l’avortement.

Une autre qualité saute aux yeux des lecteurs. Mercier ne présente aucun argument théologique; on n’y trouve aucune référence à la Bible. En situant la question exclusivement sur le terrain philosophique, et dans la grande tradition antique et classique, il mérite notre plus grande estime parce qu’il rend ainsi plus facilement accessible son livre aux non-croyants, parmi lesquels, il ne faut pas l’oublier, beaucoup sont aussi contre l’avortement.

Après avoir soigneusement défini tous les termes qu’il utilise, et notamment celui de la «personne», lequel bien évidemment est au centre du débat, il démonte un à un, par la pure logique de la pensée, les arguments les plus connus, promus par des défenseurs de l’avortement, et montre en quoi ils sont incohérents, erronés et mensongers. C’est tout simplement brillant, et indépendamment de ce que chacun peut penser de la question.

Ces arguments, on les connaît: l’embryon n’est pas une personne, l’avortement est immoral mais pas illégal parce qu’il faut respecter la liberté de la femme, donc le droit de choisir devenu intouchable, le relativisme généralisé qui veut que tout principe moral soit adapté au contexte, et qu’il ne faut rien exagérer, ne jamais dire jamais; puis l’autre argument, également archi-connu et également archi-faux, que l’embryon ne souffre pas et n’a pas de conscience et que «c’est mon corps et je peux en faire ce que j’en veux.», et que «je ne désire pas cet enfant», etc.

De façon plus large, à travers la question de l’avortement, Mercier expose les rapports fondamentaux que l’homme d’aujourd’hui entretient avec la vie et la mort. Au nom de ce qu’il appelle «la qualité de la vie», l’homme du XXIe siècle est prêt à accepter le meurtre si un être humain n’est pas désiré ou s’il est déficient, malade ou s’il est vieux et dépend pour sa vie d’autres êtres humains. Mercier a le don de nous ouvrir les yeux sur ces réalités-là et de nous offrir des arguments objectifs pour les combattre.        

Notes:

1  Stéphane Mercier, La philosophie pour la vie, Editions Quentin Moreau, 2017

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