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Pour une défense aérienne crédible

Jean-François Pasche
La Nation n° 2140 17 janvier 2020

Lors de la session parlementaire de décembre, les deux Chambres fédérales ont accepté le projet d’acquisition de nouveaux avions de combat pour notre défense aérienne. Il s’agit d’une enveloppe de 6 milliards de francs nécessaires à l’achat d’environ 40 appareils. Ce montant comprend aussi l’armement, les réserves de munition, les différents capteurs utiles notamment à la reconnaissance aérienne, les simulateurs de vol, les coûts de formation initiale et, de manière générale, les frais logistiques liés à la mise en opération des nouveaux avions. Dans la foulée, un accord a été trouvé pour les affaires compensatoires. Les entreprises étrangères obtenant des contrats dans le cadre du renouvellement de nos avions de combat devront compenser 60% de la valeur contractuelle par l’octroi de mandats en Suisse1. L’arrêté fédéral fixant le montant de l’acquisition et des affaires compensatoires a été publié avant Noël. La gauche, chapeautée par le Groupe pour une Suisse sans armée (GSsA), a annoncé le 8 janvier qu’elle lançait contre lui un référendum. En cas d’aboutissement, la votation est d’ores et déjà prévue le 27 septembre de cette année. Les Suisses se prononceront uniquement sur l’enveloppe de 6 milliards prévue par l’arrêté et non sur le type d’avion, qui sera choisi par le Conseil fédéral après la décision populaire. Le rejet de l’arrêté de planification entraînerait l’avortement du processus d’acquisition.

En premier lieu, écartons l’argument de mauvaise foi du GSsA qui prétend que nos F/A-18 Hornet actuels suffiront à accomplir les missions de police aérienne ces prochaines années. A partir de 2023, son constructeur, l’américain Boeing, n’assurera plus les mises à jour logicielles de ces avions. La Suisse se trouvera donc rapidement confrontée à des problèmes d’obsolescence, sans compter que les pièces de rechange ne seront rapidement plus disponibles pour les réparations. De plus, en 2030 au plus tard, les Hornet auront atteint leur nombre d’heures de vol maximal en prenant en compte la prolongation déjà effectuée2. Si le peuple suisse refuse l’achat de nouveaux avions, notre armée de l’air ne disposera plus, à cette échéance, d’avions de combats et ne pourra plus effectuer les missions de police du ciel. Cette tâche est cependant indispensable. Il y a régulièrement des aéronefs incapables de s’identifier qui survolent la Suisse. Parfois, leur transpondeur est désactivé, ce qui les rend invisibles aux contrôleurs aériens civils. Seule l’armée est capable de les détecter, puis de les intercepter avec ses F/A-18 et de remédier ainsi à ce genre de situation qui se présente entre 30 et 50 fois par année. Par ailleurs, la tenue régulière en Suisse de conférences internationales et de divers événements diplomatiques exige une défense aérienne renforcée, et cela passe par la mise en œuvre d’aéronefs capables d’intervenir rapidement en cas de problème, ce dont seuls les avions de combat sont capables.

De plus, la défense aérienne est une des composantes principales de toute force armée. Pour permettre le déploiement de l’infanterie, des blindés et de moyens logistiques et de communication, il est nécessaire d’avoir la maîtrise du ciel. Une armée sans protection aérienne est une maison sans toit: elle ne protège pas ses habitants. Les événements récents au Proche-Orient ont démontré – s’il le fallait encore – l’importance de la composante aérienne. L’Iran n’avait pas la capacité d’assurer la sécurité du ciel au-dessus de la tête du général Soleimani, ce qui a permis aux Américains de l’assassiner avec un tir de missile provenant d’un drone Reaper, un appareil lent et facilement détectable.

En outre, les opposants au renouvellement de notre défense aérienne reviennent avec les vieilles rengaines de la gauche anti-armée. Leur argumentation se fonde sur l’idée qu’il n’y aura plus jamais de guerre en Europe, et même si cela arrivait, alors l’OTAN serait là pour nous protéger, disent-ils. Ils ne veulent tout simplement pas voir que la paix, cela se défend. «Si tu veux la paix, prépare la guerre» dit l’adage romain. Les plus faibles sont toujours les premiers à subir la violence des puissants. Ne pouvant pas complètement nier l’évidence ontologique de l’existence du mal et de la guerre, la gauche suisse et le GSsA se contentent d’invoquer le concept de «parapluie de l’OTAN», dont la Suisse bénéficierait naturellement en raison de sa situation géographique favorable.

Mais si l’OTAN soutient militairement ses membres, c’est précisément parce qu’ils en font partie, ce dont il n’a jamais été question pour la Suisse, pour des raisons évidentes de neutralité et de souveraineté. D’autre part, cette protection est plutôt à considérer comme la participation à un effort de guerre commun. Rappelons que l’OTAN exige de la part de ses membres un investissement dans leur armée d’au moins 2% de leur PIB, ce que la Suisse n’atteint pas comme objectif. Par ailleurs, ils sont poussés à intervenir dans des conflits étrangers, lorsque l’Alliance y est engagée, et participent régulièrement à des manœuvres militaires à grande échelle dans le Nord de l’Europe en réponse à la reprise de l’influence militaire de la Russie. Pour bénéficier de la protection de l’OTAN, la Suisse devrait en faire partie. Là où le GSsA voit juste, c’est que sans défense aérienne propre nous serions forcés de compter sur celles de nos voisins pour effectuer des missions même de base comme la police du ciel. Toutefois, nous payerions très cher un tel service. En faisant l’économie de sa défense aérienne, la Suisse ne ferait pas celle de sa participation à l’effort de guerre européen et de l’OTAN. Cela entraînerait une adhésion latente à l’Alliance, qui exigerait de la Suisse une participation à l’effort commun digne de sa situation économique et de sa stabilité politique.

Dire non aux nouveaux avions de combat, c’est renoncer à une des capacités opérationnelles principales de notre armée, et se rendre militairement dépendant de l’OTAN. C’est renoncer à notre statut de pays neutre. C’est priver nos forces terrestres d’un appui indispensable, ce qui les cantonnerait à n’envisager plus que des opérations d’appui aux autorités civiles en temps de paix. Au contraire, en remplaçant nos F/A-18 par des avions de combat modernes, la Suisse réaffirmerait sa volonté de défense. Avec environ 40 appareils, elle continuerait d’être un soutien indirect mais crédible à la politique européenne de défense, tout en préservant sa neutralité et sa liberté de manœuvre. Cela garantirait aussi le maintien de son impact diplomatique notamment par sa capacité à offrir un lieu de négociation dont nous pourrions continuer à assurer la sécurité de manière indépendante. En d’autres mots, acheter de nouveaux avions de combat signifie pour la Suisse rester un Etat souverain.

Nous reviendrons dans un prochain article sur l’utilité pour notre pays de se doter à cette fin de systèmes d’armes aussi perfectionnés que le Rafale, l’Eurofighter, le F-35 ou le F/A-18 Advanced Super Hornet, les quatre avions candidats au renouvellement de notre défense aérienne.

Notes:

1  Arrêté fédéral relatif à l’acquisition de nouveaux avions de combat du 20 décembre 2019.

2  Soit 6000 heures par appareil.

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