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«Vaudoiseries»

Yves Gerhard
La Nation n° 2145 27 mars 2020

Pour nous, ce terme évoque tout d’abord l’éditorial de la première publication éditée sous l’égide des Cahiers de la Renaissance vaudoise: il s’agit du texte «Aux lecteurs» de Marc Chapuis1: «Nous avons parlé d’amour intelligent de la Patrie vaudoise, c’est assez dire que nous abhorrons l’esprit de clocher et la “ vaudoiserie ”, caricature détestable du génie d’un peuple. Nous ne disons pas même “ nous autres Vaudois ” avec ces sous-entendus qui veulent faire croire à l’existence de qualités insoupçonnées. Les manifestations de cet orgueil cantonal sont vouées à l’échec […]. Quant à la possibilité d’une culture suisse, d’une civilisation suisse, nous n’y croyons pas; ce sont là des mythes créés par des hommes qui prenaient leurs folles pensées pour des réalités; il faut plaindre ceux qui aujourd’hui les propagent. Amour raisonné de la patrie: base de notre mouvement.»

Et en second lieu, avec une belle coïncidence, les propos d’Edmond Gilliard dans ses Entretiens avec Georges Anex qui évoquent l’esprit des Cahiers Vaudois: «Ce que nous ne voulions pas non plus, c’était la vaudoiserie, la vaudoiserie à clichés, à trempette de bons mots, de mots du cru dans une sauce pastorale. Nous ne voulions plus de la vaudoiserie “ à tape sur le ventre ” du commissaire Potterat, à la “ y en a point comme nous ”, excuse de toute complaisance vulgaire […]. Nous ne voulions pas non plus de l’helvétisme, du “ suissisme ” de château que nous offrait de Fribourg le descendant d’un mercenaire au service de l’étranger.»2

Aujourd’hui, nous parlerons de Vaudoiseries, Des mots en scène, d’Yves Schaeffer, succès historique des Editions Cabédita: ce joli ouvrage oblong mentionne une série de termes régionaux vaudois dans une présentation qui rappelle la bande dessinée. Des enfants, dans des situations souvent cocasses, échangent des répliques dans des paysages qui évoquent des lieux vaudois connus. Ou plutôt devraient évoquer: si les châteaux de Chillon (château de sable!) et de Champvent, l’église de Montreux ou la Tour de Gourze sont bien reconnaissables, il n’en va pas de même des nombreuses écoles et églises de La Côte qui servent de décors aux petits dialogues. Les énigmes sont heureusement résolues en fin d’ouvrage (avec LA faute qu’il fallait éviter: «Capite dans le Lavaux», p. 110). Plusieurs régions du Canton sont totalement ignorées: les districts d’Aigle et de la Broye-Vully, Lausanne (ville et Ouest); d’autres presque totalement: Lavaux-Oron, Jura-Nord vaudois, Riviera-Pays d’Enhaut. Sept des dix districts sont négligés. La concentration sur le district de Morges montre ce déséquilibre flagrant.

Nous ne discuterons pas du choix des termes expliqués, même si certains sont rarissimes (par exemple cagnu, canardée, chlarpe – je connais cafignon –, douilles, gier, marandonner, piausser, qui sont tous ignorés de Jean-Pierre Cuendet, Parlons vaudois et d’Henri Perrochon, Le Langage des Vaudois3). Les définitions, en général, sont exactes, malgré quelques imprécisions: agate ou bigate désigne une bille en verre, colorée à l’intérieur et plus grosse que les nius. Si le youpala est bien défini, le dessin montre une suspension qui ne correspond pas exactement. Une branlée, c’est une forte secouée, pas un branlement de tête. Un tape-cul est une vieille voiture, petite et inconfortable, pas un tilbury ni un cabriolet…

Certaines scènes sont désopilantes: les bébés avec leur biberon: «Ecoute voire, on en reprend trois?» Mais l’explication «Trois décis» n’éclairera pas l’ignorant; il s’agit de trois décilitres de vin (en l’occurrence, de lait), et même le mot décilitre est inusité ailleurs que chez nous. Très amusantes aussi la caisse à savon dans les chemins de Saint-Saphorin, les corneilles épouairées de Lully, la tonsure à la mode Swiss expo (p. 52) ou encore la réparation bricolée de la p. 80.

Le succès en librairie de cet ouvrage plaisant pose un vrai problème de société: quel français parle-t-on chez nous? Bien sûr, il y a les puristes qui cherchent à parler «parisien», la RTS qui doit dire «quatre-vingts», ceux qui cultivent un bon accent vaudois, les jeunes et leur jargon plus ou moins ouf… Le contexte dans lequel on s’exprime pousse à prononcer ou à ne pas prononcer «tripatouiller», «tâdié», «vigousse», «appondre», mot d’ailleurs parfaitement construit sur ad-ponere, ou «dérupe» sur rupes, le rocher. On aurait pu croire que le français standard allait évincer les termes locaux, mais cette tendance est démentie par le phénomène étonnant que représente cette publication bienvenue. Le besoin de racines et le retour au régional ne laissent pas d’impressionner l’amateur de mots issus du patois vaudois. Si l’occasion d’utiliser ces termes se présente et se répand, nous ne condamnerons pas ces vaudoiseries-là, au contraire.

Notes:

1  Cahier No 14, 1935.

2  Edmond Gilliard, ?'uvres complètes, Genève, 1965, pp. 805-806; on aura reconnu les romans de Benjamin Vallotton, ainsi que Gonzague de Reynold.

3  Editions Slatkine, 1991; Editions 24 heures, 1979.

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