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Comment prévoir?

Olivier DelacrétazEditorial
La Nation n° 2146 10 avril 2020

Certains espèrent que nous allons revenir au courant normal. Ils savent que cela exigera des efforts et des sacrifices, mais ils ne tiennent pas à quitter un terrain connu. D’autres espèrent que les expériences du confinement et de la décroissance, de l’entraide entre les générations, du rôle de l’agriculture locale, de la nécessité d’une certaine autonomie industrielle, de l’utilité des frontières bouleverseront notre manière de vivre.

Tout le monde s’essaie à prévoir, mais comment prévoir? Sur quoi se fonder? La question est déjà difficile en temps ordinaire. En principe, nous nous référons à ce qui est stable pour ordonner ce qui l’est moins, comme le capitaine conduit son bateau secoué par les vagues à partir de l’étoile immobile. Mais, dans la tempête sanitaire qui nous frappe, les repères habituels sont devenus instables, insignifiants, inutiles. Les obligations courantes qui ordonnaient notre vie sont frappées d’une commune précarité.

Quelques constantes subsistent cependant, qui peuvent servir de cadre à nos prévisions. Certains principes sont aussi frais aujourd’hui que du temps d’Aristote: principes de causalité, d’identité, de non-contradiction. Ne disons pas qu’ils sont inutiles en l’occurrence! Toute action concrète qui les néglige court à sa perte. Quand des gouvernements sortent de leurs poches crevées des milliers de milliards fabriqués en deux clics de souris, ils n’appliquent certes pas le principe de causalité, qui voudrait que toute création monétaire corresponde à une production de richesse vraie. Nous payerons à plein cette monnaie creuse.

Le caractère communautaire de l’être humain est une autre constante. L’appartenance familiale, en particulier, s’est manifestée face au virus. Les jeunes ont adopté une attitude vertueusement parentale à l’égard de leurs parents. Ils les chouchoutent, font leurs commissions… mais leur refusent la permission de sortir.

La vocation de l’action politique subsiste aussi. Son objet est et reste éternellement la nation, ou la tribu, ou le clan, ou la fédération. Nous ne sommes pas les seuls à constater que les nations sont réapparues en force. Leurs gouvernements recourent d’ailleurs à un vocabulaire martial et se permettent des actions pour le moins inamicales à l’égard d’autres Etats en matière de matériel sanitaire.

La psychologie helvétique est une autre donnée stable. La manière suisse d’aborder la tempête ne change pas, qui mêle une certaine impréparation, la collaboration méthodique des cantons et de la Confédération, beaucoup de bon sens et de bonne volonté populaire, un peu d’imagination pratique et le refus du spectaculaire.

Il y a aussi des stabilités regrettables, en premier lieu celle des mécanismes électoraux. La nécessité de passer par les urnes condamne les partis à n’envisager jamais les affaires que sous l’angle des prochaines élections.

L’expérience des pleins pouvoirs fédéraux, lors de la Deuxième Guerre mondiale, rappelle l’incapacité objective de l’administration à rendre les compétences qu’on lui a confiées, même provisoirement. Cela aussi est une constante. Faudra-t-il à nouveau une double initiative pour supprimer le gouvernement par ordonnances, si commode?

Les idéologies modernes résistent, elles aussi, au virus. Alors que les cantons ont honorablement joué leur rôle, ce qui a permis à la Confédération de jouer le sien, les esprits unificateurs nous expliqueront que le système fédéraliste nous a fait perdre du temps et de l’argent, qu’il nous a empêchés de stocker le matériel nécessaire et qu’on aurait pu éviter beaucoup de décès. Ils exigeront notamment une centralisation complète en matière sanitaire.

De même, on a remarqué l’insignifiance de l’Union européenne, dont la principale intervention a été de montrer Mme Ursula von der Leyen en train de se laver les mains. Pour autant, l’europhile lambda répétera en boucle que l’action «chaotique» des États «cacophoniques» a empêché une action concertée et rapide et qu’il faut, par conséquent, «plus d’Europe».

Et n’oublions surtout pas, constante des constantes, la pesanteur de tous les pays trop gras: toujours plus d’Etat, plus d’impôts, plus de contrôles.

Bienfaisantes ou nuisibles, niées ou vantées, ces constantes nous accompagneront bien au-delà du confinement.

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