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Occident express 60

David Laufer
La Nation n° 2150 5 juin 2020

Après la crise, le récit de la crise. Que ce soient les critiques anti-gouvernementales ou les versions de l’origine de la crise, tout se voit à travers l’œilleton serbe, celui – justifié ou non – d’un petit pays habitué à payer pour les turpitudes des grands, s’attendant avec fatalité à souffrir plus que nécessaire des conséquences d’une crise qui n’était pas de son fait. Mes années en Serbie m’ont rendu plus compréhensif, à défaut de les trouver sympathiques, à l’égard des théories de la conspiration. Ces théories et ces récits sont l’expression et la conséquence de l’incurie des dirigeants politiques, incapables de rassurer, de gérer la réalité et de proposer une version crédible des événements. Ayant vu défiler leur lot de dictateurs, de corrompus et d’incompétents, les Serbes ont développé une méfiance, parfois saine, parfois auto-destructrice, face au pouvoir central. Ainsi cette crise ne modifie pas grand chose à l’ordinaire, et les théories alternatives à l’officielle foisonnent avec une belle régularité. En d’autres termes, la théorie du complot est un peu la défense du faible, la façon qu’ont les peuples mal dirigés de se protéger contre une narration officielle souvent perçue, et souvent à juste titre, comme fautive ou carrément mensongère. L’horror vacui est parfaitement démontrée dans ce cas, la vacance de version crédible étant automatiquement occupée par d’autres versions, aussi improbables ou crédibles soient-elles. La réalité historique serbe m’a obligé à suspendre mon jugement et à faire preuve de prudence, la réalité de certaines conspirations passées étant indéniable. J’y ai personnellement trouvé un bénéfice certain, m’habituant désormais à soupeser et à mieux observer les informations que l’on m’offre avant de les avaler – et on m’avait bien appris à les avaler. L’exercice consiste évidemment à ne pas tout rejeter ou tout accepter de l’officiel ou de l’alternatif, mais à actionner son muscle discernant et lui conserver toute sa flexibilité. Avec les années, j’ai compris que les théories du complot sont rejetées en bloc à l’Ouest de l’Europe, où l’histoire a été plus clémente et les peuples moins bousculés par la guerre et la pauvreté. Quelle n’est pas ma surprise, donc, de voir que le coronavirus a enfanté rapidement au moins autant, si ce n’est plus, de théories alternatives en Suisse, en France ou en Angleterre qu’en Serbie. La réaction des gouvernements ne s’est pas fait attendre, les capitales européennes retentissant d’avertissements solennels contre les théories de la conspiration et cherchant, maladroitement, à contenir les effets de leur propre incurie et de leur impréparation. Ces tentatives ne feront qu’alimenter la machine à théories, les dirigeants serbes l’ont appris à leurs dépens depuis fort longtemps et ne s’y essaient donc plus. Mais si les Suisses ou les Français se sentent désormais aussi démunis et méfiants que les Serbes, il n’est peut-être pas excessif de penser que l’une des victimes du coronavirus est la crédibilité des gouvernants élus, et plus uniquement dans les pays les plus pauvres et les moins organisés.

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