Identification
Veuillez vous identifier

Mot de passe oublié?
Rechercher


Recherche avancée

Comment rembourser?

Jean-François Cavin
La Nation n° 2150 5 juin 2020

Pour parer à une catastrophe économique en ces temps d’épidémie, la plupart des Etats ont engagé des sommes considérables dans l’aide sociale et le soutien aux entreprises, sans compter le coût des mesures sanitaires. Au sein de l’Union européenne, on en serait déjà presque à mille milliards d’euros. Et on envisage d’accroître la mise pour financer des programmes de relance. La majorité des pays étant déjà lourdement endettés, comment vont-ils rembourser? La réponse semble être qu’ils ne rembourseront pas. Aux USA comme dans l’UE, on se tourne vers les banques centrales en leur demandant de reprendre ces dettes, qui vont se fondre dans le trou noir de leurs mystérieux bilans. Personne ne peut sérieusement penser qu’un tel tour de passe-passe reste sans conséquences macro-économiques néfastes. Mais on veut espérer qu’elles seront assez diffuses, dans le temps et dans l’espace, pour ne pas faire trop de mal.

La Confédération helvétique a aussi injecté des montants colossaux dans son secours aux personnes et aux entreprises (on ne parle pas ici des cantons, le nôtre étant resté jusqu’ici très, très réservé à cet égard). Dans l’urgence, le Conseil fédéral, avec l’aval ultérieur des Chambres pour une partie des dépenses, a mis à disposition quelque 70 milliards de francs jusqu’à maintenant (et l’on espère qu’il n’y aura pas de «deuxième vague»), dont une bonne part sous forme de prêts et de cautionnements – mais seront-ils éteints un jour? C’est à peu près l’équivalent du budget fédéral annuel. La dette de l’Etat central, patiemment ramenée de 100 milliards en 2008 à 60 milliards l’an passé, va de nouveau exploser. Il paraît exclu de l’amortir dans les six ans selon les règles du frein à l’endettement. Comment s’y prendre?

Le site Heidi News propose d’étaler le remboursement sur trente ans, au bout desquels l’inflation aura effacé la dette. L’inflation, nulle chez nous depuis trois lustres? Domaine Public électronique ressort les vieilles recettes de gauche: faire payer les «gros», notamment par la création d’impôts fédéraux sur la fortune et sur les successions. Accaparer la substance fiscale réservée aux cantons? On a connu un Domaine Public plus fédéraliste. D’autres veulent mettre à contribution la Banque nationale; mais comme la Suisse déteste jouer avec sa monnaie, ils n’envisagent guère de faire marcher la planche à billets, mais songent plutôt à piocher dans la «réserve pour distributions futures», qui n’est pas faite pour cela, mais pour maintenir aussi constants que possible les versements aux actionnaires. Et quand on sait que la BNS a enregistré des dizaines de milliards de pertes en ce début d’année, notamment pour soutenir le franc…

Par un singulier hasard, en ce moment même est lancée une initiative populaire en faveur d’un «micro-impôt» sur les paiements électroniques. Les opérateurs s’acquitteraient d’un petit prélèvement sur ces transactions, dont le volume est tel qu’un taux ultraléger suffirait à procurer des sommes gigantesques. Avec un taux de 0,3 pour mille, avancent les promoteurs de l’idée, on récolterait au moins 60 milliards par an; cela fait 3 centimes sur un ticket de 100 francs au supermarché, 3 francs sur la rente mensuelle de 10’000 francs d’un retraité confortable, 30 francs sur l’achat de titres à raison de 100’000 francs – bien moins que la commission bancaire. Les auteurs de l’initiative proposent que cette ponction remplace la TVA, l’impôt fédéral direct et le droit de timbre, voire d’autres impôts, ce qui simplifierait grandement notre système fiscal. La perspective d’une abolition de l’impôt fédéral direct, perçu indûment par la Confédération au détriment des cantons, nous a fait dresser l’oreille. Mais c’est peut-être trop beau pour être vrai!

La crise sanitaire a fait passer cette initiative à l’arrière-plan. Quelques commentaires ont toutefois été livrés, et nous sommes frappés de constater qu’ils ne présentent pas d’objections majeures, même de la part de M. Xavier Oberson, fiscaliste réputé, et de l’Association suisse des banquiers. Leurs réflexions aboutissent à des questions (comment les opérateurs financiers reporteront-ils la charge sur leurs clients?) ou expriment des doutes sur le produit espéré (connaît-on vraiment le montant des transactions électroniques? n’y a-t-il pas un risque d’évasion fiscale par le transfert de ces opérations à l’étranger? – mais les initiants semblent avoir prévu une parade). A gauche, on gémit bien sûr à l’idée que cette ponction ne tienne pas compte de la capacité contributive des contribuables (toujours cette obsession de frapper les «gros»), alors même qu’elle pourrait se nourrir de la frénésie des spéculations boursières. Pour notre part, nous aimerions notamment vérifier si les principaux contribuables ne seront pas les principaux capitalistes, à savoir les institutions de prévoyance; si le «micro-impôt» est en définitive un impôt massif sur les caisses de retraite, ce n’est pas l’idéal.

Voilà beaucoup de questions. Nous restons sceptiques, mais intéressés. Dans les circonstances actuelles, on ne saurait se dispenser d’étudier de près ce projet et d’en débattre à fond. Si l’affaire semble jouable, même avec quelques hésitations sur des points mineurs, on devrait en faire l’essai. Pendant trois ans d’abord pour rembourser les dettes coronaires, puis, si la valeur du système est confirmée, à titre définitif pour remplacer d’autres impôts fédéraux. Si le «micro-impôt» se révélait aussi indolore que possible et aussi rentable que nécessaire, il serait impardonnable de manquer l’occasion.

Vous avez de la chance, cet article est en accès public. Mais La Nation a besoin d'abonnés, n'hésitez pas à remplir le formulaire ci-dessous.
*


 
  *        
*
*
*
*
*
*
* champs obligatoires
Au sommaire de cette même édition de La Nation: