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Occident express 62

David Laufer
La Nation n° 2155 14 août 2020

Le Kosovo. Il faudra bien que j’en parle. Quand on vit en Serbie, le Kosovo est notre boulet au pied, notre empêcheur de vivre normalement, notre éternel caillou dans la chaussure. Bref rappel des faits: situé au Sud de la Serbie et au Nord de l’Albanie, ce petit territoire sans ressources et accès maritime a vu éclore l’âge d’or de l’empire serbe et de ses monastères byzantins entre le 13e et le 14e siècles. Envahi dès le 15e siècle par les Ottomans, abandonné à la fin du 17e par ses propres habitants chrétiens, il est majoritairement musulman depuis en tout cas trois siècles. Intégrés dans la Serbie orthodoxe et slave, les Kosovars musulmans et albanophones ont toujours été vifs dans leur désir d’indépendance. Les jeux géopolitiques de la fin du 20e siècle, le cynisme des grandes puissances et la bêtise criminelle des élites serbes de l’époque ont consacré ce désir en 2008. Pour l’écrasante majorité des Serbes, aujourd’hui, le Kosovo ne peut pas et ne doit pas être officiellement reconnu. Or la question à laquelle personne en Occident ne veut répondre autrement que par des imprécations, c’est pourquoi. Pourquoi les Serbes préfèrent-ils mourir que de céder ce territoire, surtout quand ils admettent volontiers que de toute façon les dés sont jetés et que les Kosovars ne disparaîtront pas par magie. Pourquoi cette position intenable, ce jusqu’au-boutisme suicidaire? Parce qu’il y a très, très longtemps, l’empire serbe s’est fait envahir par une puissance d’une autre culture qui a tout fait pour éradiquer le christianisme et la langue serbe. L’Empire ottoman et ses lois de citoyenneté posaient la religion comme critère supérieur à tous les autres. Aux juifs et aux chrétiens étaient promises l’humiliation, la pauvreté et la relégation sociale. Et pendant plus de cinq siècles, les Serbes ont résisté à ce désir de subjugation. Et s’ils sont parvenus à maintenir leur langue, leur culture et leur identité, c’est uniquement par le biais des monastères, dont la plupart étaient situés au Kosovo. L’autre outil de cette résistance, ce sont les vies humaines. Pendant tous ces siècles, les Serbes sont morts au combat ou de misère pour défendre cette conception héritée et transmise de leur propre identité. Ils sont morts dans des quantités qui ne sont absurdes que pour celui qui refuse de comprendre pourquoi, ou qui ne pense l’histoire que comme une succession d’hommes providentiels. Ainsi quand on somme les Serbes de céder ce territoire au nom de la démocratie et de la modernité, on leur demande en réalité de s’extraire entièrement de leur propre contexte, de nier toute leur histoire et d’abandonner ce qui constitue le cœur de leur identité collective. L’histoire, heureusement, ne s’arrête pas. Le jour viendra – et je le crois proche – où les Serbes feront le deuil de ce désir. Et un jour viendra où les Serbes et les Kosovars auront oublié jusqu’aux raisons de leur haine mutuelle. Mais quand on lit la presse européenne et quand on écoute les élus occidentaux qui résument systématiquement cette question à la sanglante barbarie supposée des uns et à la courageuse résistance supposée des autres, on est pris d’un désespoir las. Si la barbarie se fonde sur l’ignorance, elle ne se trouve pas nécessairement là où on l’attend.

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