Identification
Veuillez vous identifier

Mot de passe oublié?
Rechercher


Recherche avancée

La défaite médiatique d’Israël

Nicolas de Araujo
La Nation n° 1797 10 novembre 2006
On peut se demander pourquoi, après l’arrêt des hostilités au Liban il y a quelques mois, un Hezbollah militairement affaibli se vantait d’avoir remporté la «victoire» sur Israël. Nous allons voir que l’affirmation n’est pas fausse, compte tenu des effets de la guerre sur l’opinion publique occidentale. Si nous abordons ce sujet peut-être périmé au regard des critères médiatiques, c’est parce que le groupe trotskyste SolidaritéS-CAS (Collectif pour une Alliance Socialiste) a organisé le 10 octobre dernier un café politique sur le thème de «La situation au Liban et au Proche-Orient après l’agression de l’armée israélienne».

La rencontre avait déjà eu lieu lorsque nous vîmes une affiche portant ce titre sur les murs de l’université de Lausanne. N’ayant pu assister à la discussion, nous ne préjugerons pas des paroles tenues ce soir-là. Il suffit de décrire l’affiche: elle annonce la présence de deux invités, M. Nicolas Qualander, «membre de la Campagne civile internationale pour la protection du peuple palestinien et de la LCR» (1) et M. Mohamad Hojeij, «représentant des étudiants libanais à l’EPFL». Le titre est surmonté en gros du sigle du Hezbollah (vous savez: Hizb-Allah, le premier l de Allah dessinant un bras levé avec le poing fermé sur une kalachnikov, traduisez «Parti de Dieu» avec une mitraillette ornant le mot Dieu). A côté du sigle se trouve la représentation stylisée d’un objet explosant violemment. Grenade? bombe? Difficile à dire. En tout cas le militantisme violent apparaît là dans toute sa hideur.

Ce rapprochement entre nouveaux islamistes et anciens rouges a déjà été signalée par certains commentateurs en Suisse et en Europe. On a vu Tariq Ramadan et des altermondialistes côte à côte sur les plateaux de télévision, défendant les mêmes points de vue. Il s’agit d’un échange de bons procédés. Les altermondialistes offrent une certaine légitimité et un public européen aux islamistes. Ceux-ci ouvrent à l’extrême-gauche, privée de combat depuis la fin de l’URSS, un nouveau champ d’action contre l’«impérialisme américain».

On s’étonne, ou plutôt on ne s’étonne pas. Ce sont les gauchistes qui ont le plus abusé de l’Holocauste. Le rappel des crimes nazis leur a permis de pratiquer un véritable terrorisme intellectuel contre la droite, toujours sommée de prouver qu’elle n’était pas fasciste. Mais après avoir écoeuré des générations de patriotes avec le refrain «tous coupables» (de l’Holocauste), ces mêmes gauchistes n’hésitent pas aujourd’hui à faire bon marché des Juifs pour s’acoquiner avec les premiers tueurs d’Israéliens venus.

Cependant la banalisation de slogans hostiles à Israël reflète aussi une tendance plus générale dans le public suisse (et occidental) à blâmer cet Etat pour tous les conflits du Proche-Orient. L’affiche que nous avons décrite parle d’«agression israélienne» au Liban. Evoquant ce même conflit, notre ministre des affaires étrangères Mme Calmy-Rey a qualifié la riposte d’Israël de «disproportionnée».

La présentation du conflit dans les médias appuyait ses propos. Mais nous voulons déterminer si ces accusations étaient réellement justifiées.

Un cas de légitime défense?

Rappelons que le Hezbollah déclencha les hostilités. Un commando islamiste traversa la frontière et attaqua une patrouille israélienne, tuant trois soldats, blessant un soldat gravement, et capturant deux autres. Au même moment le Hezbollah lançait une salve de missiles et d’obus sur des cibles militaires et civiles dans le nord d’Israël. Des troupes immédiatement lancées à la poursuite des ravisseurs subirent encore des pertes (5 morts) (2). La chaîne de TV qatarie Al- Djazira a confirmé (3) que les premiers missiles furent lancés avant la riposte israélienne. Cette attaque contre les civils donc eut lieu sans provocation. Dans la mesure où l’offensive d’Israël visait à arrêter une pluie de roquettes sur ses habitants, à délivrer ses deux soldats et à punir une attaque contre sa souveraineté, on ne peut parler d’«agression». Il s’agit d’un cas de légitime défense.

La morale individuelle doit être distinguée de la morale politique, qui engage le bien commun; néanmoins il nous semble intéressant de rappeler la définition que saint Thomas d’Aquin donne de la légitime défense (Somme théologique, II-IIae, q. 64, 7, Conclusion):

Rien n’empêche qu’un même acte ait deux effets, dont l’un seulement est voulu, tandis que l’autre ne l’est pas. Or les actes moraux reçoivent leur spécification de l’objet que l’on a en vue, mais non de ce qui reste en dehors de l’intention, et demeure, comme nous l’avons dit, accidentel à l’acte. Ainsi l’action de se défendre peut entraîner un double effet: l’un est la conservation de sa propre vie, l’autre la mort de l’agresseur. Une telle action sera donc licite si l’on ne vise qu’à protéger sa vie, puisqu’il est naturel à un être de se maintenir dans l’existence autant qu’il le peut. On peut dire que, moralement, l’agressé ne tue pas son agresseur. La seule fin vers laquelle tend l’acte défensif de l’agressé est de conserver sa vie.

Saint Thomas ajoute immédiatement un corollaire à cette affirmation: Cependant un acte accompli dans une bonne intention peut devenir mauvais quand il n’est pas proportionné à sa fin. Si donc, pour se défendre, on exerce une violence plus grande qu’il ne faut, ce sera illicite. Mais si l’on repousse la violence de façon mesurée, la défense sera licite. Les droits civil et canonique statuent, en effet: «Il est permis de repousser la violence par la violence, mais avec la mesure qui suffit pour une protection légitime.»

Proportionnalité

De fait, les médias suisses et internationaux accusaient l’Etat hébreu d’avoir réagi avec excès parce que le nombre de victimes civiles causées par les raids israéliens (un millier environ) dépassait largement celui des civils tués côté israélien. Présentés tout seuls, ces chiffres paraissaient dénoncer une disproportion dans la riposte.

Voilà bien un sophisme. Comme si la proportionnalité résidait dans l’égalité des pertes subies! Selon une telle logique, toute personne contrainte de tuer son agresseur pour défendre sa vie aurait commis un acte disproportionné, dans la mesure où elle ne serait pas morte! Evidemment la proportion dont parle saint Thomas est celle qui doit exister entre le danger et le moyen employé pour contrer ce danger. L’agressé doit choisir le moyen le moins coûteux – en vies humaines dans ce cas.

L’armée israélienne a effectué des milliers de raids aériens et lâché des tonnes de bombes sur les positions du Hezbollah, y compris sur ses quartiers généraux à Beyrouth. Il fallait notamment éliminer environ 15000 roquettes disséminées dans tout le pays (4) et souvent cachées au milieu de zones d’habitation.

Supposons maintenant que toutes les victimes libanaises aient été des civils (ce qui paraît très improbable car les combattants du Hezbollah se mélangeaient aux civils et ne pouvaient donc être distingués d’eux). Par rapport au nombre d’attaques et de cibles, le nombre de mille victimes paraît faible. Ceci semble indiquer que l’armée israélienne voulait éviter au maximum les pertes civiles (outre qu’elle lançait des tracts avertissant de ses attaques et exhortant la population libanaise à fuir) (5).

Comparons cela à l’intention manifeste et non provoquée de la part du Hezbollah de tuer des civils en les arrosant de missiles. Que ces armes n’aient pas eu l’efficacité voulue ne change rien au contraste énorme entre l’intention de tuer les Juifs indistinctement chez le Hezbollah et la volonté de préserver les civils chez les Israéliens. D’ailleurs, si les missiles islamistes furent si peu efficaces, c’est aussi parce les bombardements israéliens les détruisaient peu à peu, ou à tout le moins rendaient leur lancement difficile. Des bombardements moins intenses de la part d’Israël, causant moins de victimes au Liban, auraient entraîné plus de victimes dans la population israélienne.

On voit à quel point le Hezbollah obligeait l’Etat hébreu à l’attaquer – et à tuer des civils au passage. Reprenons l’analogie avec la légitime défense. Le criminel qui fait feu sur autrui en s’abritant derrière une grand-mère met la vie de celle-ci en danger. Si, contraint de défendre sa vie, l’agressé riposte et tue la grand-mère sans le vouloir, seul le criminel est moralement responsable de cette mort. Certes il faut tout faire pour éviter de tuer la grand-mère (et même le criminel), mais une fois ces précautions prises l’agressé ne peut être tenu pour coupable des victimes que l’agresseur seul a mises en danger. Autrement il faudrait consentir à se laisser abattre.

Ce qui vaut pour la morale individuelle vaut a fortiori pour la morale politique dans le cas qui nous occupe: car le responsable politique ne met pas que son existence en jeu, mais aussi celle de la communauté dont il a la charge. Contrairement au particulier qui ne peut légitimement avoir l’intention de tuer quelqu’un pour se défendre lui-même, le responsable politique ou le soldat peuvent vouloir tuer des ennemis pour défendre la patrie, dit saint Thomas: Mais parce qu’il n’est permis de tuer un homme qu’en vertu de l’autorité publique et pour le bien commun, nous l’avons montré, il est illicite de vouloir tuer un homme pour se défendre, à moins d’être investi soi-même de l’autorité publique. On pourra alors avoir directement l’intention de tuer pour assurer sa propre défense, mais en rapportant cette action au bien public; c’est évident pour le soldat qui combat contre les ennemis de la patrie et les agents de la justice qui luttent contre les bandits. (Ibid.) En l’occurrence, les responsables israéliens se devaient d’abattre le Hezbollah pour défendre la patrie menacée.

Accusations absurdes des médias occidentaux

Pressés d’aller jusqu’au bout de leur raisonnement, les accusateurs d’Israël butent de tous côtés contre un mur d’absurdité. Ils hurlent «Agression!», mais ils n’arrivent pas à montrer en quoi le fait de se faire attaquer, en subissant pertes, enlèvements et tirs de missiles, revient à agresser autrui. Ils déclarent «Disproportion!», mais si on leur demande quelle est la juste proportion, ils se montrent incapables de répondre, ou alors ils sont contraints de réclamer plus de victimes israéliennes. Ils crient «Trop de civils tués!», mais ils ne peuvent nier que ces civils meurent à côté d’armes pointées en direction d’autres civils.

L’ennui est que ces accusateurs, et notamment nos médias (6), ne sont jamais contraints de justifier la logique de leur discours. Ils exhibent les images émouvantes de destruction et de mort sans en accuser les responsables ultimes. Leurs photos d’enfants tués mentent par omission parce qu’on n’y trouve aucun examen de la causalité dans le conflit. Pas une première page de journal n’a dénoncé, images à l’appui, l’utilisation de civils comme boucliers humains par les combattants islamistes. Dans ces conditions, Mme Calmy-Rey a beau jeu de parler de «riposte disproportionnée».

Une fois ces sophismes écartés, on voit que le Hezbollah est une organisation doublement terroriste. Non seulement le «Parti de Dieu» fait tout pour tuer des civils dans le camp adverse, mais il s’abrite pour cela derrière les civils de son propre camp, provoquant délibérément leur mort. Puis il exploite encore la mort de ces civils qu’il a lui-même causée pour ternir, avec l’aide des médias, l’image d’Israël dans le monde. Malgré sa réaction plutôt proportionnée, celui-ci passe pour un agresseur cruel et tout-puissant.

C’est pourquoi on peut dire que le Hezbollah, dominé sur le terrain, a obtenu la victoire. Mais ce sont les médias qui lui ont offert ce triomphe. Défiant la raison, qui voudrait que l’organisation islamiste portât la responsabilité des morts civiles, ils l’ont fait endosser à Israël. Il faut en déduire que les médias ne favorisent pas Israël, contrairement à un préjugé répandu.

Ajoutons que les gauchistes qui combattent Israël par anti-américanisme sont peut-être victimes d’une illusion. Ce sont les Etats-Unis qui ont secouru le Hezbollah et obtenu un cessez-le-feu juste avant que l’armée israélienne ne déclenche une offensive terrestre majeure qui aurait sonné le glas de l’organisation islamiste. Voilà qui nous rappelle d’anciennes actions semblables venant des soi-disant «amis» d’Israël. Souvenez-vous qu’en 1982 l’OLP de Yasser Arafat se trouvait acculée à Beyrouth par l’armée israélienne. Alors que celle-ci s’apprêtait à porter l’estocade finale, les Etats-Unis et la France organisèrent un sauvetage d’urgence, ramenant les terroristes sous escorte à Tunis. La suite est connue.

Alors, Messieurs les trotskystes, demandez- vous bien qui vous servez au moment de préparer votre café politique à l’arôme d’islamisme.


NOTES:

1) Il ne s’agit pas d’une campagne visant à protéger la Ligue communiste révolutionnaire (LCR): c’est M. Qualander qui est membre à la fois de la campagne en question et de la LCR.

2) Amos Harel, “Hezbollah kills 8 soldiers, kidnaps two in offensive on northern border”, Haaretz, 13/07/2006.

3) Traduction agence Guysen, 12 juillet 2006 à 9h00. Cf. Aldjazeera.com, «Hezbollah captures Israeli soldiers», 7/12/2006, 6h 50mn 00s PM GMT.

4) J.-Ph. Rémy, «L’arsenal du Hezbollah lui permet d’étendre sa ‘guerre des roquettes’», Le Monde, 20.07.06

5) On se souvient du nombre relativement faible de morts par attaque. Israël effectuait de très nombreux bombardements ciblés, et non des largages massifs qui auraient certainement fait plus de victimes en quelques heures qu’il n’y en eut dans tout le conflit. Cela conforte notre sentiment que la riposte israélienne était proportionnée.

6) Citons l’apologie du Hezbollah diffusée par le TSR dans son émission Temps présent du jeudi 26 octobre 2006.

Vous avez de la chance, cet article est en accès public. Mais La Nation a besoin d'abonnés, n'hésitez pas à remplir le formulaire ci-dessous.
*


 
  *        
*
*
*
*
*
*
* champs obligatoires
Au sommaire de cette même édition de La Nation:
  • Un vote biaisé – Editorial, Olivier Delacrétaz
  • Les principes d'abord – Cédric Cossy
  • Les communes sous vidéosurveillance – Olivier Klunge
  • Ignorance «socio-construite» – Oskar Freysinger
  • Au loup!... – Revue de presse, Philippe Ramelet
  • Il est sain d'être syndic – Revue de presse, Ernest Jomini
  • Le démocrate descend du singe, amen! – Le Coin du Ronchon