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Les frontières de notre maîtrise

Olivier DelacrétazEditorial
La Nation n° 1801 5 janvier 2007
M. Claude Monnier a déjà écrit des milliers d’articles, mais en le lisant, on a le sentiment qu’il regarde chaque jour le monde avec des yeux neufs. Et la réalité qu’il ne cesse de redécouvrir suscite en lui mille étonnements féconds.

Dans Le Matin dimanche du 17 décembre, M. Monnier consacre un article (1) aux mesures globales destinées à régler les grands problèmes du monde. Il note que les mesures de contrôle des naissances, destinées à lutter contre le sous-développement du Tiers Monde, ont conduit, notamment en Chine, à un vieillissement de la population qui va priver son économie en expansion de la main d’oeuvre nécessaire. Les micro-crédits, ces quelques dizaines de dollars accordés aux plus pauvres et censés les transformer en micro-capitalistes, n’ont fait que les enfermer dans leurs dettes. Cette idée avait pourtant valu le prix Nobel de la Paix à son concepteur (dois-je vraiment dire «pourtant»?). Il apparaît aussi que les engrais chimiques ont permis de produire une quantité de nourriture telle qu’il aurait fallu transformer deux fois plus de forêts en champs cultivables pour la produire en culture «bio»: vertus écologiques de l’engrais! Le succès du carburant «doux» à base de colza induit des grands pays de l’Amérique latine à déforester massivement pour se lancer dans de nouvelles monocultures au détriment de leur équilibre naturel.

M. Monnier aurait aussi pu donner l’exemple du communisme égalitaire qui a engendré la société la plus inégalitaire et la moins solidaire de l’histoire. Il aurait pu montrer, comme on le voit en Suisse, que le libéralisme engendre un contrôle étatique croissant, et que la suppression des cartels au nom de la concurrence engendre généralement des monopoles. Il aurait pu souligner que cette suppression a servi de tremplin à l’initiative sur la caisse unique.

Ces mesures générales ne sont pas simplement coûteuses et d’un faible rendement: leurs effets sont essentiellement négatifs. Le désordre qu’elles engendrent est durable, parfois irréversible. On ne peut même pas se soulager la conscience en se disant que c’est mieux que rien!

Explication de M. Monnier: «Notre terre est un mobile de Calder tellement énorme, aux réactions tellement imprévisibles – quand on règle un problème ici on en crée dix autres à l’autre bout du système –, qu’il est exclu qu’un truc, une combine ou un abracadabra, fussent-ils géniaux, parviennent à nous donner le pouvoir (quasi divin) de faire danser la planète bleue au son de notre pipeau.»

M. Monnier conclut qu’«il nous faut faire ce que nous dicte notre conscience», mais sans croire pour autant que «nous avons trouvé la solution». D’accord, mais est-ce vraiment tout? Est-ce que vraiment l’homme se trouve seul avec sa conscience morale face à l’immense et insaisissable enchevêtrement du monde?

Nous ne le croyons pas. Entre les deux, il n’y a pas le vide, mais les communautés humaines, en particulier les communautés politiques qui, de la tribu à la nation, introduisent un ordre limité mais réel entre les hommes et dans les choses: ordre institutionnel qui dessine le territoire et ses frontières, répartit et délimite les pouvoirs, organise et protège la population; ordre des moeurs, qui naît dans la durée, sélectionne les comportements bienfaisants pour la cité et fonde des lois applicables à la population, à la fois universelles dans leur objet et particulières dans leur expression; ordre particulier des communautés de tous ordres oeuvrant sur le territoire; ordre de l’amitié, qui rassemble les personnes, adoucit la pression des lois et constitue le but terrestre de l’action politique.

Cet ordre politique ne résout pas de soi les problèmes concrets qui se posent d’une façon renouvelée au gouvernement. Mais la cohérence qu’il donne à la communauté rend possibles des solutions qui évitent ou réduisent au minimum les dommages collatéraux. Il ne fait pas disparaître l’extraordinaire complexité des choses. Il la structure, la met en valeur, la rend utile. Du même coup, et mieux encore que les ratages mondiaux dénoncés par M. Monnier, il met en relief l’extraordinaire grossièreté des trucs, des combines et des abracadabras destructeurs que des politiciens opiniâtrement aveugles imposent aux réalités vaudoise et suisse et qui s’appellent «unification», «centralisation», «étatisation».


NOTES:

1) «Les trucs pour sauver le monde, ça n’existe pas»

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Au sommaire de cette même édition de La Nation:
  • Amour, délice et orgue – Jacques Perrin
  • L’église médiévale de Grandson – 900 ans de patrimoine religieux et artistique – Georges Perrin
  • Qu’est-ce que la Suisse a perdu? – Ernest Jomini
  • Séminaire, mode d’emploi (Ecologie & politique) – Olivier Delacrétaz
  • Politique agricole 2011 – Jean-Michel Henny
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