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A bas la bipolarisation!

Pierre-François Vulliemin
La Nation n° 1805 2 mars 2007
Les avantages prétendus de la bipolarisation

Le vendredi 23 février 2007, M. Philippe Barraud publiait sur son site internet commentaires.com un article intitulé Vive la bipolarisation! Empruntant largement à des exemples français, ce texte expliquait combien il est illusoire de «prétendre gouverner un pays en dehors des catégories classiques de la gauche et de la droite». M. Barraud nuançait cependant son propos. Il reconnaissait les défauts de cette vision du monde, qui «simplifie les choses à outrance», «empêche de trouver des solutions de bon sens», «soumet la politique à des enjeux idéologiques » et «masque les besoins réels de la population». Las, le reste du texte justifiait bel et bien son titre.

Des considérations consacrées aux partis du centre et à leurs concurrents menaient le lecteur à une apologie des catégories «gauche» et droite», ainsi qu’à un panégyrique de l’approche idéologique. Nous citons: «[La bipolarisation] permet…de prendre des décisions cohérentes sur le long terme et de s’y tenir, ce que ne permet pas la navigation au jour le jour des gens qui n’ont pas de structure idéologique. Elle permet enfin l’alternance, ce qui est par nature impossible avec un centre incolore, puisqu’on ne pourrait que le remplacer par un autre centre incolore. »

La lutte pour le pouvoir et l’exercice de celui-ci

M. Barraud condamne assez sévèrement un facteur de grande instabilité politique, puis en loue les effets électoraux, pour finir par lui attribuer la capacité de concilier la cohérence des décisions sur le long terme avec l’alternance du pouvoir. Ce faisant, il nous permet de distinguer entre la séduction des électeurs et la capacité à gouverner un pays.

Si la conformité à une idéologie permet de «faire le malin» en campagne électorale, elle oblige par là même à se raidir dans une attitude détachée de la réalité. L’idéologie condamne toute approche circonstanciée et fait fi du pays tel qu’il a été, tel qu’il est et tel qu’il sera vraisemblablement. L’alternance du pouvoir à la française n’arrange rien. Elle occulte seulement la constance des idéologues les plus fidèles. Les élus étant bientôt remplacés par leurs contradicteurs, on défait rapidement ce qui a été fait et on refait tant bien que mal une partie de ce qui a été défait.

La gauche et la droite

Depuis la Révolution française, la naissance de nouvelles factions situées tout à gauche rejette régulièrement à droite les malheureux partis plus anciens. L’histoire vaudoise nous le prouve à l’envi: les libéraux furent repoussés vers la droite par les radicaux, les radicaux se virent repoussé par les socialistes, les socialistes s’embourgeoisent… A l’instar de l’UDC, mêmes les droites que les journalistes disent aujourd’hui extrêmes sont en fait plébéiennes comme les socialistes de l’entre-deux-guerres. Le célèbre Jean-Marie Le Pen a beau sentir le soufre, cela n’y fait rien. Les partisans des droites modérées d’il y a cinquante ou cent ans le traiteraient de gauchiste.

Le glissement de tout parti de la gauche vers la droite s’explique par l’omniprésence des «immortels principes » de Liberté et d’Egalité. Plus personne ne peut sérieusement compter se faire élire sans y souscrire. Les partis de droite sont donc toujours sur la défensive. Résumé à l’extrême, leur discours tient en une phrase: «Nous réaliserons le programme de la gauche mieux qu’elle, car nous sommes plus efficaces.» Les partis de droite ne savent pas être autre chose que des gauches désavouées par des factions plus égalitaristes et plus libertaires qu’ils ne le sont. Ils demeurent en permanence soumis à la surenchère de progressistes plus radicaux, qui leur reprochent leur inconséquence et dont ils subissent la domination idéologique. (1)

La bipolarisation cumule les désavantages. En plus de diviser les nations, elle nous induit à croire que l’«idéologie de droite» existe bel et bien, alors que les partis aujourd’hui à droite ne sont jamais que des gauches à l’ancienne.

Le centre

Otages de l’affrontement entre la gauche et la droite, les électeurs se croient bien souvent obligés de choisir leur camp… au moins le temps d’une discussion de bistrot. Or, il n’est rien de moins excitant que de se dire centriste. Devoir se poser en partisan du bon sens et de l’équilibre face à un gauchiste ou un libéral n’est même pas triste. C’est tristounet.

Se dire centriste implique de parler de la gestion des affaires de l’Etat et de la société à des gens qui n’en ont souvent rien à faire. Cela constitue un bon moyen de plomber la conversation. De plus, cette attitude oblige à plonger le nez de ses contradicteurs en plein dans leurs incohérences. Par exemple, le centriste se trouve contraint de signaler à l’étatiste de gauche que ses idées ne laissent pas la moindre place à sa liberté chérie. Pareillement, le centriste se voit forcé d’avertir le libéral d’une bien triste réalité: une intervention massive de l’Etat sanctionne obligatoirement toute libéralisation d’une certaine importance. Le libéral est un étatiste par la force des choses.

Le long terme

Le centre ne peut être valablement occupé que par une personne ou un groupe durablement au pouvoir. Celuilà seul pourra se préoccuper de rétablir ou d’entretenir les mille équilibres nécessaires à la vie sociale. Celui-là seul pourra dire sans faire sourire: «Je suis pour les ouvriers de mon pays, mais je suis aussi pour les patrons qui les font travailler; je suis pour un contrôle des dépenses militaires, mais je crois qu’il faut investir dans la modernisation de tel ou tel système d’armement; je suis pour la liberté d’expression, mais dans le respect des moeurs… je suis un défenseur des choux, mais il faut nourrir toutes ces fichues chèvres.»

Malheureusement, la démocratie empêche quiconque d’occuper durablement le pouvoir politique. Elle autorise les personnes très populaires à s’installer un peu, mais la brièveté des mandats politiques et l’obligation de repasser devant les électeurs minent toute idée de long terme chez la plupart des élus.

Prenons l’exemple de notre grand voisin. Au vu de l’histoire de France et de la difficulté à gouverner par àcoups, même le septennat était une durée ridiculement courte. Au vu de la longue vie de la nation française, même le funeste François Mitterand n’est pas resté bien longtemps au sommet de l’Etat. En proie à la soif du pouvoir et dans l’obligation d’acquérir, de conserver et de mettre à profit le plus rapidement possible une position extrêmement mal assurée, ce triste sire et ses semblables auront finalement consacré le plus gros de leur carrière politique à s’occuper…de leur carrière politique. Cela ne leur aura laissé que peu temps, d’énergie et de motivation pour oeuvrer au bien commun national.

Ce que nous voulons de nos hommes d’Etat

Nous nous accordons avec M. Barraud pour reconnaître les limites d’un système dont nous ne sommes pas des adorateurs. Or, quoi qu’on puisse en penser, nous vivons en démocratie. Tant que cet état de fait perdurera, il nous faudra en faire façon.

Nous demeurons prudents face aux promesses de ces deux vilaines jumelles que sont les idéologies de gauche et de droite. Pareillement, nous nous défions des partis du centre, qui, tel le PDC, chipent de mauvaises idées à tous leurs concurrents. Cependant, au vu de l’instabilité intrinsèque du régime démocratique et des ressemblances frappantes entre tous les partis, confier à nos discutables élus de longs mandats non renouvelables réduirait certains défauts du système.

Nous nous distançons de M. Barraud lorsqu’il vante le mérite des étiquettes partisanes sous prétexte qu’elles permettent au citoyen «de se situer, et de savoir à quel monde rêve le politicien auquel il donne sa voix.» Politiquement, nous nous situons comme Vaudois. Cela nous suffit. Citoyens d’un Pays que nous aimons, nous ne demandons pas à ceux qui prétendent obtenir nos voix de rêver à quelque monde que ce soit. Nous leur demandons de gouverner une partie du monde réel. Cette tâche peut paraître plus modeste, elle est en fait beaucoup plus ambitieuse. Et c’est en fonction de leur capacité à remplir cette tâche que nous devrions choisir nos chefs.


NOTES:

1) Pour en finir avec la question de la gauche et de la droite, ou pour écrire quelques lignes à ce propos, faites comme l’auteur du présent article: allez voir «La droite introuvable», texte de la plume de M. Denis Ramelet, publié aux pages 59 et suivantes du Cahier de la Renaissance vaudoise N° CXXXII, Contrepoisons 5.

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