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Assimilation, intégration et communautarisme

Olivier DelacrétazEditorial
La Nation n° 1807 30 mars 2007
Dans 24 heures du 16 mars dernier, M. Philippe Nordmann publiait un article concernant la nouvelle loi vaudoise du 23 janvier sur l’intégration. Il y plaidait pour l’intégration et contre l’assimilation, qui est «impossible et d’ailleurs pas souhaitable: pourquoi perdre ses racines?»

La notion de racines appartient au registre de la «métaphore organique», qui donne à la réalité incarnée, au corps, au lieu et à l’époque une importance qui répugne en général à l’homme de gauche. Il est remarquable que les milieux qui défendent les immigrés s’en soient inspirés pour l’un de leurs principaux slogans, «en quatre ans on prend racines». On ne s’en plaint pas, mais la notion d’assimilation appartient au même registre que celle de racines. Il y a quelque chose de contradictoire à refuser l’assimilation au nom des racines.

Peut-être M. Nordmann considère-t-il l’assimilation comme une mutilation qu’on ne saurait imposer à l’étranger qui s’installe chez nous. Mais il ne s’agit pas de couper les racines d’origine et de les remplacer par des prothèses. Il s’agit de transplanter les mêmes racines dans un nouveau terreau, en l’occurrence une nouvelle communauté définie par ses moeurs et ses institutions. Plongées dans ce nouveau terreau culturel, les racines trouveront une nourriture différente qui ne sera pas sans effets sur l’individu.

Penser que l’assimilation est impossible, c’est adopter une attitude fixiste à l’égard de la nationalité: on part du principe qu’un Italien restera toujours italien, un Péruvien, péruvien, etc. Ce déterminisme est du même ordre que les considérations biologiques qui inspirent les théories racistes: l’individu serait enfermé dans sa nationalité comme les racistes pensent qu’il l’est dans sa race.

Or, d’expérience mille fois répétée, l’assimilation est possible. Les barrières des nations sont hautes mais franchissables. Même s’il garde des indices physiques et psychiques de sa provenance, le petit-fils d’un immigré portugais, sud-américain ou serbe peut être aussi vaudois que n’importe lequel des rédacteurs de La Nation. D’ailleurs, l’assimilation n’empêche pas de conserver des liens avec la région et la culture d’origine.

Ajoutons que l’assimilé est aussi assimilant: de même que telle plante fixe le sol, qu’une autre l’acidifie ou l’enrichit en azote, de même l’étranger apporte quelque chose de son ancienne communauté à la nouvelle. La culture du lieu peut se modifier sous l’influence d’une culture extérieure. Ainsi de l’influence de l’«art nègre» ou de la peinture japonaise sur les artistes occidentaux du début du XXe.

Mais pour que l’assimilation soit possible, il faut qu’existe, stable et forte, une culture dominante qui imprègne le lieu. Et c’est progressivement que le nouveau venu s’y assimilera, moins par un acte délibéré de la volonté que par l’osmose des contacts quotidiens. Ses enfants, nés sur place, boucleront la boucle.

Quand la culture du lieu devient incertaine et peu sûre d’elle-même, quand elle a moins d’énergie, quand le terreau communautaire s’appauvrit et se dessèche, le processus prend plus de temps. L’assimilation devient sinon impossible du moins sans intérêt. Alors, les immigrés restent entre eux sous la forme de communautés qui ne s’adaptent plus et reproduisent les moeurs qui ont cours chez eux. C’est ce qu’on appelle le communautarisme.

Nous en sommes bientôt là. Nous avons de la peine à assumer notre héritage, à être heureux de ce que nous sommes, à reconnaître la valeur de ce que nous apportons. Nous ne croyons même plus que nous apportons quelque chose. De là cette autocritique stérile et permanente qui ne vise pas à nous améliorer, mais à justifier notre soumission aux idéologies fusionnistes et aux courants migratoires. Nous nous plaçons nousmêmes sous un regard de jugement qui n’existe que dans notre imagination mais que nous prêtons avec une complaisance suicidaire aux peuples qui nous entourent.

L’intégration, pour laquelle plaide M. Nordmann, est la voie française prônée aussi bien par M. Sarkozy que par Mme Royal. C’est un communautarisme pondéré par le respect des «valeurs» républicaines, en particulier l’égalité. Cela consiste notamment à se plier aux moeurs françaises en matière de vie familiale: monogamie, liberté du mariage, égalité de l’homme et de la femme, interdiction des mutilations rituelles des fillettes. Pour le reste, le nouveau venu est libre de ne fréquenter que des personnes de la même origine et de pratiquer la religion qu’il veut.

A l’image des libéraux et des marxistes, l’officialité laïque française considère la religion comme une affaire privée. C’est une illusion, car aucune religion ne souffre d’être restreinte à la sphère individuelle. C’est surtout un tour de passe-passe, car la laïcité est en fait la religion officielle. Et elle est bel et bien publique. Elle est omniprésente même, et obligatoire. Sa prétendue neutralité religieuse n’est qu’une manière sournoise de s’assurer le monopole du dogme.

La laïcité prétend imposer aux autres religions un relativisme et une retenue contraires à leur nature. C’est tout particulièrement vrai en ce qui concerne l’islam, religion universaliste et conquérante, qui de surcroît ignore la distinction chrétienne entre le spirituel et le temporel. Dès que le nombre de musulmans atteindra un certain pourcentage de la population, leurs associations représentatives exigeront, avec raison de leur point de vue, que les lois françaises s’inspirent des moeurs musulmanes et non plus de l’athéisme pratique de la laïcité. Dans cette situation, effectivement, l’assimilation sera impossible. Ou disons plutôt que ce ne seront plus les mêmes qui devront s’assimiler.

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