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Activités politiques étrangères en Suisse

Jean-François Cavin
La Nation n° 2067 31 mars 2017

Dans des Etats d’Europe comme en Suisse, la propagande du régime de M. Erdogan en faveur du renforcement du pouvoir présidentiel, adressée à la diaspora turque, a posé avec acuité la question des activités politiques d’un pays étranger et de ses ressortissants sur le sol d’un autre Etat. Celles-ci risquent en effet de perturber l’ordre public si les passions partisanes débouchent sur des affrontements – entre les tenants du pouvoir et l’opposition, ou entre Turcs et Kurdes en l’espèce. Tel pays a dit non; tel autre oui. Et la Suisse? Confronté concrètement à un projet de conférence pro-Erdogan sur son territoire, le Conseil d’Etat de Zurich a d’abord refusé l’autorisation. Puis la Confédération s’en est mêlée par la voix de M. Burkhalter – de quel droit? – en rappelant qu’elle était attachée à la liberté d’expression, et Zurich a plié. Mais l’hôtel où le rassemblement devait avoir lieu a finalement refusé sa salle, et le dignitaire turc s’est gardé d’insister. La question ne se posait donc plus… jusqu’à ce qu’une manifestation d’opposants turcs, autorisée sur la Place Fédérale (!), sombre dans l’excès avec des pancartes inadmissibles; et la police bernoise s’étonne, parce que ce n’était pas prévu, cependant que M. Erdogan s’indigne.

Un arrêté du Conseil fédéral pris en 1948 soumettait à autorisation les discours d’étrangers en Suisse. Il a été abrogé en 1998, pour des raisons qu’on verra dans un instant. L’an passé, à la suite de heurts survenus en Allemagne entre des Turcs (déjà!), le conseiller national Daniel Fässler, démo-chrétien d’Appenzell Rhodes Intérieures, a proposé de remettre ce texte en vigueur. Le Conseil fédéral a motivé son rejet de la motion par deux arguments. D’une part, l’appareil légal existant par ailleurs serait suffisant; la loi fédérale sur les étrangers, voire celle sur le maintien de la sécurité intérieure en cas d’extrémisme, permet en effet d’interdire l’entrée en Suisse d’un étranger – voire de l’expulser – s’il met cette sécurité en danger (mais un orateur?); et les cantons, responsables en priorité du maintien de l’ordre public, peuvent en tout état de cause interdire des activités susceptibles de le troubler. D’autre part, on doute de la constitutionnalité de l’arrêté de 1948, peut-être disproportionné en regard de la liberté d’expression. Même si ces raisons ne convainquent pas entièrement, il faut bien voir que le régime de l’autorisation ne résout pas grand’chose. Qu’accepte-t-on? Que refuse-t-on? Pour quels motifs?

Pour régler ce problème, le plus simple peut paraître d’interdire entièrement les discours et les activités politiques des étrangers. Cela éviterait apparemment la délicate casuistique découlant d’un système d’autorisation, susceptible de tomber dans le favoritisme et de porter dommage à la neutralité. On objectera que ce serait disproportionné en regard du principe de la liberté d’expression. Ce serait surtout difficile à appliquer et n’échapperait pas au risque de la casuistique. Car qu’est-ce qu’un discours politique? On ne va tout de même pas empêcher en tout temps un essayiste comme M. Guy Sorman de venir parler à Lausanne du libéralisme, ou un analyste américain de décortiquer pour nous les principes et la sociologie du parti républicain made in USA; et la description entraîne la critique, et la critique l’opinion.

Il convient toutefois d’affirmer que la propagande et les affrontements partisans concernant d’autres pays n’ont rien à faire chez nous. Nos propres disputes électorales suffisent à notre bonheur. Quant aux étrangers immigrés, à l’heure de la télévision transfrontalière et d’internet, rien ne les empêche de penser, de suivre des débats, de choisir. On pourrait imaginer que la loi fédérale interdise la propagande, les discours et les rassemblements politiques durant les six mois qui précèdent une votation ou une élection dans l’Etat considéré. Ce serait un peu artificiel, mais éviterait au moins le risque de troubles dans la période la plus chaude et garantirait l’égalité de traitement entre les pays en cause – donc notre neutralité – sans que nous ayons à nous demander si tel régime est plus ou moins recommandable. Le reste du temps, les cantons resteraient compétents pour interdire, ou soumettre à conditions, les discours politiques.

Quant aux manifestations de rue, qui sont une forme outrancière de la liberté d’expression, qui dégénèrent souvent, qui bloquent la circulation des gens normaux vaquant à leurs affaires, elles ne méritent pas une protection particulière au sens des libertés publiques (et l’on pourrait modifier les constitutions dans ce sens, au besoin). Pour les étrangers, elles devraient être carrément interdites en tout temps, probablement par le droit cantonal (pour que Genève l’internationale puisse en décider à sa guise). Notre espace public n’est pas destiné à être le lieu d’affrontements entre factions étrangères sur des sujets étrangers à notre vie nationale.

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