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Imprécise et nécessaire, la classe moyenne

Olivier DelacrétazEditorial
La Nation n° 2078 1er septembre 2017

Le PDC annonce une initiative pour limiter les coûts de la santé. Son objectif est de réduire les charges pesant sur la classe moyenne, classe dont il se proclame, comme tous les autres partis, l’intransigeant protecteur.

Mystérieuse classe moyenne, objet de toutes les promesses politiciennes et de toutes les pressions fiscales! Officiellement, on la définit comme l’ensemble des contribuables gagnant entre 70 et 150% du revenu médian du pays. Certains distinguent la classe moyenne supérieure, qui se tire d’affaire, et l’inférieure, qui se paupérise. Bon, cela ne nous avance pas beaucoup et la classe moyenne apparaît, à la pauvre lumière de ces considérations, comme un élément de nomenclature administrative plus que comme une réalité sociale digne d’intérêt.

On serait déjà plus proche de la réalité en désignant la classe moyenne comme la victime par excellence de la progressivité de l’impôt, pas assez pauvre pour qu’on la ménage, pas assez riche pour faire face sans souci aux augmentations de l’impôt et des assurances.

Ces définitions purement chiffrées sont sans doute pertinentes, mais tout de même un peu courtes pour définir une classe que les candidats aux élections, toutes tendances confondues, désignent avec conviction comme la «colonne vertébrale de la société». La formule est usée, mais on n’y recourrait pas aussi souvent si l’on ne sentait pas confusément que la classe moyenne représente plus qu’une simple strate fiscale: une certaine réalité sociale, une certaine manière d’être et d’avoir, de penser et d’agir.

Laissons le terme parler en nous et essayons de formuler ce qu’il nous inspire… Il évoque, d’une façon imprécise, une partie de la population issue principalement du monde des métiers, constituée de petits patrons qui veulent développer leur affaire, de contremaîtres qui se préparent à devenir petits patrons, d’employés qui visent la maîtrise fédérale, d’ingénieurs qui prennent leur envol dans une startup, d’indépendants. Ce sont des gens qui se lèvent tôt matin et travaillent sans compter leurs heures. Ils espèrent bien gravir l’échelle sociale. Leur lutte pour se faire une place dans la société anime la vie économique. Les politiciens ont donc raison, même s’ils y voient d’abord un réservoir d’électeurs et de contributeurs: cette classe dynamique et ambitieuse forme bien la colonne vertébrale de la société.

Les fonctionnaires qui montent en font-ils partie? et les représentants les moins aisés des professions libérales? et les agriculteurs? Les contours de la classe moyenne sont assez flous pour qu’on pose la question… et qu’on n’y réponde pas d’une façon certaine.

La classe moyenne est imprécise parce qu’elle ne forme pas un ensemble conscient et structuré. Elle n’a pas de représentant attribué (sinon les candidats durant leur campagne). Elle ne s’exprime donc jamais en tant que telle, assez proche, au fond, de cette masse qu’on appelait naguère la «majorité silencieuse».

La classe moyenne ne s’occupe guère de politique, elle n’en a pas le temps. Si elle est généralement conservatrice en matière de lois et de mœurs, c’est moins par choix idéologique que parce qu’elle est pragmatique et préfère un mal connu et maîtrisable aux maux inconnus qui découlent invariablement de tout bouleversement social ou législatif. Professionnellement, en revanche, elle est activement ouverte aux nouveautés techniques, et en fait son profit. Elle déteste l’administration, dont les normes entravent son activité, elle se défie de l’Etat, dont l’impôt progressif suit d’un peu trop près la progression de son revenu.

A-t-elle besoin de l’aide que lui promettent les candidats? En réalité, elle se débrouille très bien dans sa partie, sensiblement mieux et à moindres coûts que l’Etat… auquel elle fournit une bonne partie des fonds qui le font vivre. D’ailleurs, une aide étatique passerait forcément par une baisse des impôts qui la touchent et un frein à la progressivité, ce qu’un élu ne saurait admettre, quoi qu’il promette en tant que candidat. Les besoins de l’Etat sont tels qu’on va plutôt vers une aggravation du statut fiscal de la classe moyenne. En d’autres termes, le monde politique déplore la lente disparition de la classe moyenne, tout en renforçant continuellement les mécanismes fiscaux qui en sont la cause principale.

Par sa masse, par son engagement au travail, par son énergie et ses réussites, par son réalisme terre-à-terre, par le poids de ses intérêts concrets, la classe moyenne équilibre la société, l’arrime aux nécessités matérielles et l’empêche de planer dans les nuées. Sans le savoir, elle sert de tampon entre l’«élite» et le peuple, les reliant, les pondérant, les empêchant de polariser le débat social et politique. En ce sens, on peut parler d’une «élite populaire».

Sa disparition n’en est pas moins inscrite dans l’ADN de la démocratie parlementaire.

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