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L’intelligence et l’égoïsme

Olivier DelacrétazEditorial
La Nation n° 2081 13 octobre 2017

M. Jacques Dubochet, le tout récent prix Nobel de chimie vaudois, a déclaré1: Pour moi, la meilleure définition de la gauche et de la droite, on la trouve en biologie. L’altruisme est quelque chose de moral chez l’être humain, mais en biologie c’est une façon de fonctionner. Les fourmis ouvrières sont totalement altruistes car elles travaillent pour la reine, c’est le système qui le veut. En tant qu’êtres sociaux, nous vivons ensemble: nous occuper les uns des autres, ce n’est pas de la bonté, c’est simplement ne pas être stupide, c’est vital pour notre bien commun. Ce n’est pas une valeur morale, c’est une notion d’intelligence: la gauche, c’est l’intelligence, et la droite, c’est l’égoïsme.

Sur la nature communautaire de l’homme, on ne peut qu’être d’accord: la langue et les mœurs sont des réalités collectives qui sont indispensables à l’individu, comme la famille qui l’éduque, l’encadre et le soutient, comme les institutions politiques, qui font, d’une masse informe d’individus, un peuple organisé et différencié. A défaut d’être tous généreux, nous sommes tous solidaires, c’est-à-dire dépendants bon gré mal gré les uns des autres, et de multiples manières. Le contester au nom d’un individu mythique qui se suffirait à lui-même et dont les autres n’attendraient rien n’est effectivement pas très intelligent.

La droite à laquelle M. Dubochet fait allusion, c’est la droite néo-libérale, individualiste et spéculatrice, axée sur le profit illimité dans la perspective du marché libre, de préférence mondial. Cette droite caricaturale n’est pas la seule. Il existe aussi des droites traditionnelles ou conservatrices qui sont profondément attachées à la notion de communauté. Il existe aussi, à l’inverse, une gauche libertaire qui y est indifférente, et toute une bourgeoisie socialiste, bien installée au pouvoir, qui l’a oubliée depuis longtemps.

La gauche sociale-démocrate parle et agit au nom de la solidarité. Très bien. Son erreur est de vouloir la réaliser par la redistribution obligatoire des richesses. Car le passage par l’Etat dépersonnalise et par conséquent réduit à peu de chose la relation concrète de solidarité. Dans cette opération fiscale, il n’y nulle générosité, nulle reconnaissance: ceux qui donnent ont le sentiment d’être dépossédés injustement des fruits de leur travail et ceux qui reçoivent n’y voient qu’un dû, toujours insuffisant. Chacun juge la répartition dans une perspective strictement égoïste. C’est dire que la politique de la gauche n’est pas très intelligente non plus.

Si l’individualisme isole l’individu, le collectivisme prôné par la gauche ne supprime pas cet isolement. En le rendant matériellement supportable, il le prolonge et le conforte. On s’y installe.

Quant à la gauche révolutionnaire, l’Europe de l’Est a subi durant septante ans l’échec meurtrier, économique, écologique et social, des régimes totalitaires qu’elle a inspirés. Ici encore, l’intelligence que M. Dubochet attribue à la gauche est en défaut.

Notons en passant que ces régimes réduisent précisément l’individu à sa seule appartenance collective… comme dans la fourmilière évoquée par M. Dubochet.

Les humains ne sont pas des fourmis. L’individu n’est pas défini par sa seule contribution à la bonne marche de la fourmilière. Il est aussi un être pourvu d’un destin personnel unique. Il détient la capacité de juger les situations par lui-même et d’agir en conséquence. En ce sens, l’égoïsme répond lui aussi à un besoin essentiel de l’individu, besoin que ne ressent probablement pas la fourmi ordinaire. L’égoïsme a même un rôle à jouer du point de vue de l’intérêt général de la fourmilière humaine. En effet, pour établir une relation avec autrui, il faut d’abord exister soi-même et s’assurer les moyens de son existence, occuper une place dans le monde, si petite soit-elle, la protéger contre les empiètements, défendre ses libertés pour mieux exercer ses responsabilités, se protéger des nuisances extérieures pour se garantir un minimum de tranquillité de l’âme et du corps. Il y a un égoïsme vital, sans lequel l’altruisme pour lequel plaide M. Dubochet est impossible.

La personne humaine est à la fois individuelle et communautaire. La droite néo-libérale sous-estime la nécessité communautaire. La gauche, à l’inverse, sous-estime l’importance spécifique de l’individu. La séparation de ces deux réalités, voire leur opposition par le biais des partis, déchire inutilement la société. 

L’erreur de l’homme de droite n’est pas d’être égoïste, mais de ne pas étendre son égoïsme à ses proches, de ne pas placer son «je» si précieux dans le «nous» social, qui est une source illimitée de services réciproques. L’erreur inverse de l’homme de gauche n’est pas de se soucier du groupe social, mais de négliger le fait que les libertés concrètes de l’individu et l’autonomie des corps intermédiaires sont nécessaires à l’épanouissement de ce groupe.

Notes:

PS: Nous avons repris sans discuter la grille d’analyse «gauche/droite» utilisée par M. Dubochet. En réalité, elle n’est que partiellement pertinente. Les écologistes, réactionnaires alliés à la gauche, l’UDC, à la fois libérale en économie et traditionnelle pour le reste, les libertaires des partis pirates, les partisans de la décroissance, les antispécistes, les partisans du revenu de base inconditionnel – dont M. Dubochet fait partie – et tant d’autres partis ou groupes de pression, récemment surgis des marges du système, appellent des approches complémentaires.

1  24 heures du 5 octobre 2017.

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