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Le discours de M. Juncker

Olivier DelacrétazEditorial
La Nation n° 2082 27 octobre 2017

Le 16 septembre 2016, trois mois après le vote sur le Brexit, les dirigeants des Etats membres de l’Union européenne se réunissaient à Bratislava, sans l’Angleterre, pour relancer la machine européenne. Le discours annuel sur l’état de l’Union, que M. Jean-Claude Juncker, président de la Commission européenne, a tenu le 13 septembre dernier à Bruxelles, reprend et développe les points principaux de ce sommet.

Pour M. Juncker, l’Europe a toujours été «une question de valeurs», principalement la liberté, l’égalité et l’état de droit. Quand il parle de l’Europe, il ne se réfère jamais à son histoire ou à sa civilisation, à Jérusalem, à Rome ou à Athènes, au Moyen Age ou à la Renaissance. Si l’adhésion de la Turquie à l’Union est exclue, par exemple, ce n’est pas parce que toute son histoire s’est faite en dehors et contre l’Europe. C’est parce qu’elle ne respecte pas la liberté d’expression. Qu’elle libère ses journalistes et on réexaminera la question!

Dire que l’Union n’est qu’une question de valeurs, c’est dire que son territoire est appelé à s’étendre indéfiniment, au rythme de la progression de ces valeurs dans les autres pays. L’Union européenne, c’est le nouvel impérialisme planétaire, l’impérialisme par les valeurs.

M. Juncker veut renforcer les frontières de Schengen dans la lutte contre l’immigration illégale. Il veut qu’on se montre plus rigoureux et systématique dans l’exécution des renvois des personnes en situation irrégulière.

Mais en même temps, «l’Europe est un continent qui vieillit», il faut «le doter d’un système de migration légale qui est une nécessité incontournable». Les extrêmes se touchent: le très officiel M. Juncker rejoint ici le très rebelle Renaud Camus, cet essayiste qui dénonce le «grand remplacement» des Français et des Européens de souche par les migrants. La différence est que le président de la Commission se réjouit du grand remplacement et qu’il entend l’organiser.

Peu lui importe, apparemment, que les cultures des pays européens, déjà affaiblies de leur propre fait, soient menacées par un afflux de cultures étrangères trop massif et rapide pour être absorbé. Peu importe que la présence croissante de l’islam engendre des craintes croissantes elles aussi. Peu importe même que les peuples extra-européens n’aient pas forcément une grande compréhension pour les valeurs prônées par M. Juncker. Celui-ci rabat ses œillères et se calfeutre dans un monde juridico-technique où les êtres humains ne sont que des unités statistiques interchangeables, des individus lisse et égaux dont il nie toute spécificité significative, nationale, religieuse ou culturelle.

Pour reprendre la maîtrise, dit-il, il faut «bâtir une Europe plus unie, plus forte, plus démocratique».

Il faut «une union de l’énergie, une union de la sécurité, une union des marchés des capitaux, une union bancaire et un marché numérique unique», une «union européenne des normes sociales», une «agence européenne de cybersécurité». L’euro doit être la monnaie unique de toute l’Union. Il faut aussi augmenter «la capacité budgétaire de l’Union européenne pour qu’elle puisse mieux répondre à ses ambitions».

La règle de l’unanimité doit faire place à celle de la majorité qualifiée1, notamment pour «les décisions concernant l’assiette commune consolidée pour l’impôt des sociétés, la TVA, une fiscalité juste pour l’industrie numérique et la taxe sur les transactions financières». On fera de même avec certaines décisions de politique extérieure, car il faut donner «plus de poids» international à l’Union. Il faut un «ministre européen de l’économie et des finances», une «cellule européenne de renseignement» et une «union européenne de la défense», opérationnelle dès 2025.

Sur le plan démocratique, M. Juncker plaide pour des campagnes électorales plus longues et plus présentes. Il souhaite aussi la création de listes transnationales. Le financement des partis ne doit pas avoir pour but de «renflouer les caisses des extrémistes qui sont contre l’Europe», mais de «permettre aux partis européens de mieux pouvoir s’articuler».

M. Juncker propose enfin de fusionner les présidences du Conseil européen2 et de la Commission européenne: «Le paysage européen serait tout simplement plus lisible et plus compréhensible si le navire européen était piloté par un seul capitaine.»

M. Juncker propose une substantielle reprise en main: davantage de moyens financiers pour l’Union européenne, davantage de pouvoir à la Commission, davantage de contrôle sur l’application de ses décisions par les Etats membres (au hasard la Hongrie), et le «capitaine» unique pour couronner le tout.

Ainsi donc, une retombée secondaire (ou peut-être principale) du Brexit pourrait être d’accélérer vertigineusement ce double mouvement d’extension et de concentration qui est une constante de l’Union européenne.

Notes:

1  La majorité qualifiée dans l’Union européenne est de 55% des Etats de l’Union et de 65% de sa population.

2    Le Conseil européen réunit quatre fois par année les chefs d’Etat ou de gouvernement des vingt-sept pour décider des grandes orientations européennes. Il est présidé par le Polonais Donald Tusk

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