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La non-politique agricole

Olivier DelacrétazEditorial
La Nation n° 2083 10 novembre 2017

Le conseiller fédéral Schneider- Ammann a exposé les grandes lignes de la politique agricole suisse à partir de l’année 2022. A vrai dire, c’est une non-politique, toute politique spécifiquement agricole étant automatiquement réputée protectionniste, ce qui est un crime économique majeur. Désormais, l’agriculture sera traitée comme les autres branches de l’économie suisse et travaillera aux conditions du marché mondial.

On est en plein dans l’idéologie libérale, laquelle, comme toutes les idéologies, dispense ses partisans de penser et de prendre leurs responsabilités tout en leur permettant d’avoir automatiquement raison.

Le discours de M. Schneider-Ammann a choqué. Il a brisé par surprise les espoirs que le souverain avait placés dans l’article de la Constitution fédérale 104a (nouveau) sur la sécurité alimentaire, accepté à 80% le 24 septembre dernier.

En fait, le peuple avait pris ses désirs pour des réalités. Car le nouvel article est clair: si les lettres a), b), d) et e) sont consacrées à la protection des terres agricoles et de la nature, la lettre c) prévoit bel et bien «une agriculture et un secteur agroalimentaire répondant aux exigences du marché».

La Nation, qui recommandait de refuser l’article, avait écrit avant la votation1: «Le conseiller fédéral en charge de l’économie veut libéraliser encore plus les marchés agricoles en ouvrant plus largement la porte aux importations. Ce nouvel article ne l’empêchera pas, au contraire, il lui balise le chemin.» Le 24 septembre, La Nation a perdu et, comme on le sait maintenant, l’agriculture suisse aussi.

On ne le répétera jamais assez, une initiative populaire doit être jugée en fonction des contraintes précises qu’elle impose au pouvoir, aux cantons, aux corps intermédiaires et aux personnes et non en fonction des émotions que le thème suscite. Il faut voter sur les textes et pas sur les slogans.

L’agriculture n’est pas seulement une branche de notre économie et un élément clef de la défense nationale. C’est aussi un grand nombre de familles paysannes qui s’engagent sans compter pour la survie de leur domaine. Comment l’officialité libérale, radicale, démocrate-chrétienne et socialiste va-t-elle leur «vendre» sa politique d’abandon?

«Mon objectif est d’emmener l’agriculture sur les chemins du succès», déclare sans rire M. Schneider-Ammann qui ajoute crânement que «notre agriculture a les moyens de s’adapter». Qu’est-ce qu’il en sait?

Au début de mars, le même déclarait, lors du 54e Salon de l’Agriculture de Paris: «La digitalisation peut renforcer la compétitivité et la transparence de l’agriculture et de l’industrie alimentaire. Elle doit représenter une chance pour le secteur en lui permettant de se renouveler.» Plus on relit cette phrase, moins elle a de sens: la digitalisation (?) de l’agriculture renforcerait sa transparence (?) et serait pour elle une chance (?). Chaque fois qu’un politicien parle de «chance» ou de «grande chance», c’est pour dissimuler, à la Coué, une catastrophe imminente. Et de toute manière, la plupart des agriculteurs sont au point en matière d’informatique.

M. Schneider-Ammann invoque aussi la nécessité d’affronter une concurrence internationale toujours plus féroce. Oui, c’est bien connu, quand les bêtes féroces rodent autour de la maison, la première chose à faire est de leur ouvrir la porte.

Le 3 novembre, à Forum2, M. Philippe Nantermod, conseiller national et vice-président du parti libéral-radical suisse, défendait la position du Conseil fédéral. Selon lui, puisque l’horlogerie et les industries pharmaceutiques peuvent affronter un marché libéralisé, l’agriculture le peut aussi. Quand son vis-à-vis lui objecte que les montres et les médicaments sont des produits à haute valeur ajoutée, M. Nantermod répond péremptoirement que ce qui est possible pour les produits transformés, comme le chocolat et le fromage, doit l’être aussi pour les produits de base. Il n’y a qu’à prévoir des «mesures d’accompagnement efficaces». On aurait aimé savoir à quel type de mesures il pensait, si elles étaient conformes aux exigences du marché libre, si elles étaient destinées à durer et si nous pouvions nous les payer. Mystère et désinvolture!

M. Nantermod conclut en poussant la logique libérale jusqu’au bout. Si l’agriculture connaît des difficultés, demande-t-il, n’est-ce pas précisément parce que c’est le secteur le moins libéralisé de notre économie? On pourrait aussi bien, et avec de meilleurs motifs, affirmer que c’est parce qu’elle l’est déjà beaucoup trop.

Les libéraux nous accorderont que, si la concurrence élimine les moins bons, elle est censée récompenser les meilleurs. Or, il se trouve que tous les agriculteurs de la planète souffrent de la concurrence agricole mondiale, laquelle apparaît comme un affrontement «perdant-perdant». Cherchez l’erreur!

En réalité la concurrence agricole ne se livre pas entre des paysans, dont chacun lutterait pour produire mieux et à meilleur coût que les autres, mais bien entre les groupes agroalimentaires multinationaux, les grands distributeurs et les paysans producteurs. C’est une concurrence inégale, et souvent déloyale, qui désavantage fatalement ces derniers.

La première tâche d’un gouvernement serait d’affronter ces grands groupes en leur imposant le respect de la situation et des usages économiques du pays. Il n’y a pas de politique agricole possible si l’on ne commence pas par là.

Notes:

1  «La sécurité alimentaire, vraiment?», Jean-Michel Henny, La Nation n° 2078 du 1er septembre 2017.

2  «Faut-il libéraliser davantage l’agriculture suisse?» Débat entre Philippe Nantermod et Rudi Berli, Forum du vendredi 3 novembre 2017.

 

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