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La vérité ne nous laisse jamais en paix

Olivier DelacrétazEditorial
La Nation n° 2091 2 mars 2018

L’illustration de la revue Réformés représentant un couple homosexuel et multiracial enchevêtré en forme de croix a irrité pas mal de lecteurs. Ils l’ont écrit au Conseil synodal de l’Eglise évangélique réformée du Canton de Vaud qui leur a répondu sous la forme d’une lettre circulaire. Il y dit notamment: Dans l’esprit de la Réforme, qui dénonce toute prétention de l’Eglise à détenir la vérité et à définir la juste doctrine, le Conseil synodal tient à ce que le journal « Réformés » ne soit pas la prétendue « voix officielle » des Eglises.

Ça se discute. Si «détenir la vérité» signifie la posséder discrétionnairement, comme une chose, le Conseil synodal a raison sur ce point. C’est courir le risque presque certain de s’attribuer à soi-même, non sans vanité, le rôle de maître et dispensateur de la vérité.

Cela dit, ce n’est pas en niant le fait qu’on peut connaître et transmettre la vérité que l’Eglise évitera cette dérive. C’est au contraire en assumant pleinement son autorité doctrinale tout en restant à sa juste place, attentive et respectueuse face à la Parole qui s'adresse à elle.

De toute façon, et d’une manière générale, la vérité ne se laisse jamais mettre de côté. Notre intelligence est faite pour la recevoir et la diffuser. Quand nous disons quelque chose, nous sommes pénétrés de la certitude que c’est vrai. Même quand je dis «rien n’est vrai», je le dis encore comme une vérité. On n’en sort pas.

De même, il y a toujours une philosophie implicite derrière le moindre de nos discours. Ainsi, quand l’Eglise nie l’existence d’une «juste doctrine» qu’elle devrait transmettre, elle affirme implicitement la doctrine contraire, soit qu’elle n’a rien d’essentiel à dire.

Que les vérités du Symbole des Apôtres, par exemple, s’enracinent dans un mystère qui me dépasse, c’est évident. Ce que j’en sais, ce n’est pas toute la vérité ni rien que la vérité. Mais c’est en tout cas quelque chose de la vérité. Je ne la détiens pas, certes, mais je la reçois bel et bien; je n’en dispose pas, mais j’ai la responsabilité de la faire connaître. Sans cette relation, inégale, avec la vérité, je perds toute possibilité de savoir en quoi ou en qui je crois, toute raison aussi, par conséquent, d’évangéliser.

C’est l’honneur de l’Eglise d’avoir, au long des siècles, conduit cet effort immense, souvent conflictuel et jamais achevé, d’interprétation des choses révélées. Ceux qui la dirigent aujourd’hui n’ont pas le droit de faire litière de cette somme de théologie, d’ecclésiologie, de liturgie, de pédagogie et de morale. Ce serait couper le peuple de l’Eglise des racines qui nourrissent la foi et l’approfondissent.

Ce qui se passe, c’est que l’Eglise a été à ce point accusée et vilipendée qu’elle a fini par intérioriser les catégories mentales de ses adversaires. C’est désormais elle-même qui s’emploie à se dépouiller de tout ce qui fait sa différence. Ainsi, le chrétien d’aujourd’hui ne se contente pas d’être humble en ce qui le concerne. Il étend son humilité à l’Eglise tout entière et s’aplatit en son nom. Par un effrayant contre-témoignage, il accepte comme autant de vérités premières les critiques les plus imbéciles, les accusations les plus malveillantes à l’égard de celle-ci. Et il croit naïvement que cet abandon sera considéré comme un signe d’ouverture et représente une promesse d’efficacité missionnaire.

Quand l’Eglise, par ses chefs, évacue son devoir de présenter l’Evangile comme la vérité, elle crée un vide en elle et autour d’elle. Et ce vide est mécaniquement comblé par l’idéologie dominante, qui n’a rien de spécifiquement chrétien, étant individualiste en théologie et en morale, collectiviste sur le plan social et mondialisante en politique.

De plus, comme on le constate ces jours, tous les accommodements avec l’esprit du temps n’empêchent pas le rédacteur en chef de Réformés de «détenir la vérité» et d’asséner la «juste doctrine», tout en manifestant un esprit de jugement assez péremptoire et un manque regrettable de compassion à l’égard de ceux qui s’indignent, se lassent, voire envisagent – certes à tort – de s’éloigner.

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