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Les indemnités de chômage des frontaliers

Jean-François Cavin
La Nation n° 2100 6 juillet 2018

Nouvelle embûche dans les relations entre la Suisse et l’Union européenne? C’est ce qu’on peut craindre à propos de la récente décision du Conseil des affaires sociales de l’UE sur les prestations de l’assurance-chômage des frontaliers. Elles devraient être versées désormais par l’État du lieu de travail, et non plus par celui du lieu de résidence. Cette option, prise contre l’avis de plusieurs États membres, et notamment du Luxembourg qui compte 45% de frontaliers dans sa main-d’œuvre et qui a obtenu un délai d’adaptation de sept ans, doit encore être ratifiée par le Parlement européen. Concernera-t-elle aussi la Suisse? Pas automatiquement, mais certains signes, notamment les pressions de la France, montrent que ce pourrait être le cas.

Pour notre pays, dont l’économie emploie quelque 320’000 frontaliers (autant de chômeurs de moins en Europe!), le changement serait coûteux. On parle de plusieurs centaines de millions de francs, voire d’un milliard.

Les motifs de la décision des ministres européens ne sont pas clairs à nos yeux. On mentionne un souci de cohérence du système social. Peut-être y va-t-il aussi, plus brutalement, de l’intérêt pécuniaire des États d’où proviennent les frontaliers. Sur le fond, il existe des arguments pour l’une et l’autre solution. En faveur du paiement par l’État du lieu de travail, on peut relever que c’est lui qui encaisse les cotisations; normal donc qu’il paie les prestations. En faveur de la solution inverse, c ‘est le contrôle de «l’aptitude au placement», selon la terminologie helvétique, qui constitue la raison déterminante: seule l’autorité du lieu de domicile peut vérifier que le chômeur cherche du travail, qu’il reste disponible pour celui que l’office de placement lui proposerait, qu’il «timbre» s’il y a lieu, qu’il ne disparaît pas en vacances payées par la collectivité.

Une solution de synthèse est que l’État du lieu de travail rembourse à l’État du domicile une partie des cotisations perçues. C’est ce que fait la Suisse, à hauteur de 138 millions de francs annuels (chiffre 2015) en faveur de la France par exemple. Mais celle-ci dit payer 610 millions à ses chômeurs frontaliers… Il ne serait pas équitable de rétrocéder l’entier des cotisations perçues, car c’est l’assurance-chômage helvétique qui verse les prestations aux frontaliers en cas de chômage partiel, d’intempéries, d’insolvabilité de l’employeur.

Peut-être pourrait-on négocier une rétrocession plus importante; mais nous ne devrions pas accepter de payer les indemnités ordinaires. Le risque d’abus est en effet considérable, d’autant plus que l’assurance-chômage suisse offre des prestations nettement supérieures à celles des voisins, la France en particulier: 70% du salaire ici, contre 57% en règle générale Outre-Jura, avec un plafond plus élevé chez nous, etc. Et cela calculé par rapport aux salaires suisses, bien plus substantiels qu’au-delà de la frontière. Le Suisse trait sa vache, c’est bien connu depuis Victor Hugo, mais son assurance-chômage n’a pas vocation à devenir la vache à lait des chômeurs du continent.

Il sera intéressant d’observer si l’UE a quelque considération pour la situation objective de son partenaire helvétique ou si elle cherche à l’arnaquer en avançant sans ménagement le rouleau-compresseur de sa réglementation.

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