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La légitimité du mouchard

Lionel Hort
La Nation n° 2107 12 octobre 2018

La loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales (LPGA) risque d’être modifiée le 25 novembre prochain par l’introduction d’un article 43a, afin d’établir une base légale clarifiant les possibilités de surveillance des assurés par des détectives, sur mandat des assureurs.

A l’origine du problème, une décision de 2016 de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) concluant à l’absence fautive, en droit suisse, d’une base légale légitimant l’assurance-accident à mener des observations secrètes d’assurés en cas de soupçons d’abus aux assurances sociales. Suite à la proposition d’une base légale par le Parlement, un comité à tendance de gauche a lancé un référendum contre celle-ci, invoquant notamment la protection de la sphère privée et des droits fondamentaux des plus démunis contre une surveillance par les assureurs qualifiée d’arbitraire. Pourtant, jusque-là, les cas d’abus étaient effectivement traités par des enquêtes «sauvages» et par des procédures de droit pénal.

En substance, le texte, applicable uniquement aux assurances soumises à la LPGA, légitime aux yeux de la loi les observations d’assurés et classe les mesures d’observation en trois catégories. Premièrement, les enregistrements sonores et visuels effectués depuis des lieux librement accessibles au public seront autorisés sur décision d’un dirigeant de l’assurance. Deuxièmement, l’utilisation d’instruments techniques permettant de localiser l’assuré – une balise GPS, par exemple – nécessitera, pour pouvoir être utilisée, l’accord préalable d’un juge. Enfin, tout instrument n’entrant pas dans ces catégories, comme les drones ou les programmes de hacking informatique, sera interdit.

Le texte définit clairement et de manière restrictive les modalités d’utilisation de ces mesures, leur durée et le droit de l’assuré à être informé des procédures ouvertes contre lui au terme de celles-ci, dont notamment un droit à la destruction des éléments de preuves inféconds. De plus, ces mesures restent limitées en comparaison des moyens à disposition de la police et du Ministère public, et, comme il se doit, du Service de renseignement de la Confédération1.

On pourrait certes s’inquiéter, dans une optique plus libérale, de la multiplication des atteintes à la vie privée permises par les nouvelles technologies – on se souvient des controverses ayant entouré le Patriot act américain ou la loi sur le renseignement (LRens) en Suisse – et de plus en plus légitimées par ce genre de textes, mais en l’espèce les solutions présentées apparaissaient relativement peu contraignantes, eu égard aux enjeux financiers et de bonne foi liés aux fraudes à l’assurance. Les auteurs de la base légale ont fait preuve de retenue, et il nous semble ainsi que l’arbitrage entre la lutte contre les abus, d’une part, et la défense de la vie privée, d’autre part, a été convenablement mené.

A ce propos, pour illustrer la nécessité de ces mesures d’observation, l’OFAS donne quelques chiffres: « De 2009 à 2016, l’AI a clarifié près de 16 000 cas suspects, qu’il y ait eu simple intention ou effectivement perception indue de prestations. Parmi eux, une observation a été réalisée durant l’instruction dans 1700 cas et a permis de confirmer les soupçons dans 800 cas. […] Entre 2009 et 2017, l’AI a systématiquement eu recours à l’observation dans la lutte contre les abus. Cette lutte en elle-même lui a permis d’économiser près de 1,2 milliard de francs, dont 320 millions de francs sont à mettre au crédit des observations. »2.

Outre que l’on se retrouve dans l’amusante et paradoxale situation où une décision de la CEDH mène à la création d’une réglementation portant potentiellement atteinte aux droits fondamentaux – selon le comité référendaire à tout le moins, qui pourra ainsi méditer sur la question et voter correctement sur les autres sujets à l’ordre du jour le 25 novembre prochain – on peut dire que cette votation ne porte finalement pas vraiment à controverse. La Confédération, en proposant spontanément cette base légale, et les assurances, en suspendant leur pratique de surveillance en attendant la votation, ont simplement fait preuve d’une diligence un peu forcée – la pratique n’allant pas fondamentalement changer et la situation juridique s’en trouvant simplement clarifiée.

Néanmoins, la lutte contre les abus à l’Etat-providence, dans le domaine des assurances sociales comme dans n’importe quel autre, est une cause juste, qu’il convient de mener avec fermeté, et ce d’autant plus quand de l’argent soi-disant public est en jeu. Le système helvétique d’assurances sociales repose sur la solidarité et la confiance; en cela, il en appelle à la responsabilité des citoyens. Pour le reste, l’Etat se doit de veiller au grain; aussi, constatant que les conditions de la surveillance des assurés sont strictes et ses moyens bien définis, nous recommandons d’accepter cette nouvelle réglementation lors des prochaines votations fédérales.

Notes:

1  Voir le tableau comparatif issu des «Explications du Conseil fédéral sur la votation du 25 novembre 2018», page 29.

2  Voir le dossier de l’OFAS intitulé «Dispositions de la LPGA sur l’observation: faits et contexte», page 8.

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