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Comme une fièvre qui passe

Olivier DelacrétazEditorial
La Nation n° 2109 9 novembre 2018

Pour que naisse le populisme, il faut que le peuple – disons: une partie significative du peuple – éprouve le sentiment d’être dépossédé de son identité collective par l’action ou l’inaction de ses autorités. Il faut ensuite un chef qui, par son énergie, sa ruse, sa chance et son verbe, s’impose comme le porteur inspiré de ce sentiment, unifie la masse et la mette en mouvement.

Face à l’abstraction des droits de l’homme, à la mondialisation libérale-socialiste et au brassage des populations, le populisme affirme la nécessité individuelle et collective de l’enracinement, l’importance des cultures historiques et des limites territoriales qui les protègent. Il affirme les droits du premier occupant, qui fut et reste le premier défricheur, le premier cultivateur, le premier bâtisseur. Le populisme, c’est, grossièrement dit,  la résistance du particulier face à l’universel.

Avant toute argumentation raisonnée, le populisme est la réaction vitale d’une société qui se sent menacée, une fièvre sociale avec température, agitation et, parfois, confusion.

Bien que cette fièvre s’étende un peu partout dans le monde, le «système» refuse de lui reconnaître la moindre raison d’être. Il se contente de la condamner vertueusement, ce qui lui évite de devoir examiner ses propres responsabilités. Pourtant, les pressions incroyables que les gens de Bruxelles exercent actuellement sur la Suisse devraient, à elles seules, l’amener à comprendre au moins certains aspects du populisme.

Il est vrai que le monde officiel a de la peine à accepter que le populisme joue le jeu démocratique, mais qu’il en utilise les mécanismes pour en combattre l’esprit.

Le refus d’entrer en matière sur le populisme est tel qu’il empêche même de diagnostiquer ses faiblesses objectives.

En principe, en effet, le nationalisme revendiqué du populisme devrait le pousser à restaurer un équilibre fédéral et des équilibres cantonaux gravement affaiblis par le système, à recréer les liens, à restaurer les usages, à revaloriser les souverainetés des cantons, à soutenir en toute occasion le principe des corps intermédiaires qui représentent, mieux qu’un parlement, les intérêts concrets du peuple. Cela nécessite non seulement des actions concrètes mais aussi toute une réflexion doctrinale. C’est un travail de longue haleine.

Or, la forme électorale que prend partout la réaction populiste l’empêche de mener à bien ce travail. Pour acquérir la majorité, il faut être simple et faire appel à l’émotion. Pour entretenir l’émotion, il faut des actes spectaculaires, des manifestations publiques, des affiches et des slogans qui choquent. Et comme le public s’habitue et se lasse, il faut aller toujours plus loin, sous peine de perdre du terrain. La fièvre devient l’état normal de la société politique. L’effectif des troupes doit croître en permanence. Tout est toujours urgent. Pas le temps d’argumenter pour persuader l’adversaire. On va se borner à le battre aux élections et à le faire marcher droit à coup de lois. Pas de temps non plus pour les complexités du fédéralisme. L’heure n’est plus au «byzantinisme» genre Ligue vaudoise. Il faut penser gesamtschweizerisch, voire en termes de civilisation occidentale. Aussi, et si sincères que soient ses positions de principe, le parti populiste est condamné à rester à la surface des choses, condamné aussi à nourrir l’étatisme et la centralisation.

L’avancée internationale du populisme révèle une autre de ses faiblesses, illustrée par les déclarations enthousiastes de Mme Le Pen à l’annonce de l’élection de M. Jair Bolsonaro. Le populisme défend l’existence des frontières, mais ne s’y sent pas forcément soumis. Ce qu’on appelle la «révolution conservatrice» n’est nationale qu’aussi longtemps qu’elle n’est pas internationale. En fait, comme avec toutes les idéologies, les seules vraies frontières sont celles qui séparent les partis populistes des autres partis: populistes de tous les pays, unissez-vous!

Mais c’est dans son impossibilité d’assurer la durée que se trouve la principale faiblesse du populisme. Au début, le militant part pour l’aventure et s’engage sans réserve. Il accepte les sacrifices et les risques, récompensé par l’une ou l’autre de ces magnifiques victoires qui terrassent les gens en place et laissent les sondeurs hébétés. Mais personne ne peut être héroïque en permanence. Son engagement de tous les instants lui cause des soucis familiaux ou professionnels. Il fatigue et devient moins généreux de son temps et de sa peine. S’il est élu, ses responsabilités le contraignent trop souvent à transiger avec l’idéologie et à passer des accords avec des individus que le parti continue de désigner comme ses ennemis irréductibles.

Parfois, le mouvement manifeste des divergences doctrinales importantes, jusqu’alors masquées par le combat commun. Des chapelles se forment. Elles accusent le pouvoir central. Celui-ci les excommunie publiquement. Les adversaires politiques et les médias soufflent sur l’incendie. Le militant se rend compte que son parti est devenu un parti comme les autres, avec les mêmes pesanteurs et les mêmes dérives.

Et voici que le chef historique se retire. Avec lui disparaît la source de l’autorité et de l’unité. Le mouvement continue un certain temps, privé toutefois du souffle originel. Reprendre le programme? Mais l’essentiel du programme, c’est le mouvement. Quand il ralentit, le parti péclote, quand il s’arrête, le parti s’effondre.

La fièvre retombe. Les démocrates officiels reprennent les rênes et recommencent sans états d’âme les erreurs qui avaient déclenché la réaction populiste. Mais eux n’ont pas besoin de s’épuiser. Le système glisse dans leur sens.

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