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Le nationalisme sans nation du président Macron

Olivier DelacrétazEditorial
La Nation n° 2118 15 mars 2019

Dans sa lettre du 5 mars, publiée dans tous les pays de l’Union européenne, le président Emmanuel Macron écrit: «Le repli nationaliste ne propose rien; c’est un rejet sans projet.»

Le seul projet d’une nation, c’est d’exister et de se perpétuer. C’est un projet général et suffisamment absorbant, puisqu’il s’agit de composer et de recomposer sans cesse un nombre indéfini de personnes libres, d’institutions autonomes, de situations imprévues et d’équilibres changeants. Bien entendu, toute nation a aussi de grands projets particuliers, dans les domaines de la sécurité, de la défense armée, des infrastructures, sans oublier tout ce que recouvre la notion évolutive de «service public». Mais ces projets n’ont de raison d’être qu’intégrés à la nation dans la perspective de sa vie à long terme.

Le projet nationaliste est égoïste, c’est vrai. Mais c’est un égoïsme collectif. Il inclut tous les nationaux et, sous des statuts divers, les étrangers qui y vivent. C’est déjà beaucoup. De plus, cet égoïsme peut être bénéfique pour l’extérieur: la nation qui conduit une politique étrangère stable, intransigeante et pacifique rend indirectement service aux autres Etats. Un pays en paix est une oasis précieuse pour les pays qui l’entourent.

Le vrai repli sur soi est bien autre chose: du temps d’Enver Hoxha, l’Albanie, elle, était repliée sur elle-même, totalement isolée après ses ruptures successives avec le reste du monde, puis avec l’URSS, puis avec la Chine. Les nationalistes français visés par M. Macron ne proposent tout de même pas ce genre de verrouillage.

Quand on parle de «projet» politique, on pense à un plan volontariste, économique, par exemple, qui sort le peuple de lui-même et mobilise toute son énergie, ou à des mesures démographiques draconiennes visant à réduire ou à augmenter fortement la population, ou encore à la mise en œuvre massive et systématique d’une nouvelle idéologie. Remarquons que ces projets ne sortent pas non plus de la perspective nationale. Simplement, ils la déséquilibrent en se substituant à la recherche du bien commun. On peut l’admettre dans le cas particulier d’une mobilisation générale, qui concentre l’effort du bien commun sur l’effort de guerre. Tout est alors subordonné à la défense armée du territoire et de l’indépendance. Chacun admet des restrictions importantes à sa liberté, parce qu’elles visent la survie de la nation. Mais c’est tout de même un déséquilibre, qui doit être corrigé aussi vite que possible.

Dans la nation, la communauté humaine est première. Une nation peut aller aussi mal qu’elle veut, elle continue d’exister. Ecrasée par l’occupant comme le Tibet, déportée comme les Arméniens, mutilée plusieurs fois comme la Pologne, privée de sa terre et persécutée durant des siècles comme Israël, elle continue de vivre, elle poursuit inlassablement son projet: se retrouver un territoire, se reconstituer en Etat.

L’exemple inverse est celui de l’entreprise ordinaire. Celle-ci forme elle aussi une communauté, unissant le patron, les cadres et les employés. Mais, contrairement à la nation, son caractère communautaire est second. C’est une retombée heureuse du travail. Mais c’est ce travail qui justifie l’existence de l’entreprise. Si elle perd son utilité ou sa rentabilité, on ne va pas la maintenir artificiellement en vie sous le motif qu’elle est une communauté.

Revenons au président Macron. Son projet, c’est de renforcer la réalité politique de l’Union européenne. Dans sa tribune, il plaide pour la nécessité d’avoir des frontières face aux migrations et aux «puissances agressives.» «La frontière, dit-il, c’est la liberté en sécurité». «Aucune communauté, dit-il encore, ne crée le sentiment d’appartenance si elle n’a pas des limites à ce qu’elle protège.» Il demande une «police des frontières», qu’on peut voir comme l’embryon d’une armée européenne. Il revendique la «préférence européenne» pour protéger «les industries stratégiques et nos marchés publics». Il veut un «salaire minimum européen» et un «bouclier social» assurée par l’Union. Enfin, il demande une «Conférence pour l’Europe afin de proposer tous les changements nécessaires à notre projet politique sans tabous, pas même la révision des traités». C’est ni plus ni moins qu’une assemblée constituante européenne!

Ce discours reprend l’entier de la rhétorique nationaliste, mais pour l’appliquer à l’Union européenne… qui n’est pas une nation. Dans les fumées de l’alchimie macronienne, le vil plomb nationaliste se change en or pur progressiste. Ce qui était rejet devient projet. En même temps (!), ce projet sera ressenti par les autres Etats de l’Union comme une pure et simple extension du nationalisme français, tant le décalque est évident. Accessoirement (ou principalement), c’est un projet électoral.

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