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Pourquoi une partie du PLR préfère-t-elle le PS à l’UDC?

Denis Ramelet
La Nation n° 2119 29 mars 2019

Le vote du 17 mars dans les bastions PLR le prouve: malgré le soutien officiel de ce parti au candidat de l’UDC, une part importante de son électorat s’est abstenue de voter pour celui-ci, exprimant de fait une préférence pour la candidate du PS et le maintien de la majorité actuelle au gouvernement vaudois.

Pour expliquer ce phénomène à première vue étonnant, certains commentateurs mettent la faute sur le candidat malheureux, dont le profil, plutôt âgé et campagnard, ne serait pas le bon. D’autres, qui vont déjà plus loin, disent que le candidat UDC, pourtant de tendance agrarienne (donc plutôt «valdo-radicalo-compatible»), a fait les frais du rejet, par une partie de l’électorat PLR, de la tendance blochérienne de l’UDC, dominante au niveau fédéral. Cette seconde explication pointe dans la bonne direction, mais doit être approfondie, historiquement et philosophiquement.

Il ne faut jamais oublier que «gauche» et «droite» sont des termes relatifs l’un à l’autre qui ne désignent pas une réalité politique immuable, qu’il s’agisse d’une idéologie ou d’un électorat.

Alors que nous avons l’impression d’avoir toujours vu les libéraux siéger à droite dans les parlements, notre esprit doit faire un effort pour réaliser ce que nous enseignent les livres d’histoire, à savoir que les libéraux ont incarné la gauche pendant toute la première moitié du XIXe siècle, la droite étant alors incarnée par les conservateurs.

Les libéraux ont progressivement été repoussés vers le centre par les vagues idéologiques successives, chacune étant considérée comme plus à gauche que la précédente: radicaux, puis socialistes, et enfin communistes. Economiquement, les radicaux peuvent être considérés soit comme des libéraux modérés, soit comme des socialistes modérés: les radicaux sont plus étatistes que les libéraux, mais moins que les socialistes.

Les libéraux et leurs cousins radicaux n’ont vraiment incarné la droite qu’à partir du moment où ils n’eurent plus grand monde sur leur propre droite, c’est-à-dire pendant la Guerre froide, quand l’opposition des deux idéologies économiques que sont le libéralisme et le socialisme – couplée à la révolution «sociétale» des années soixante – éclipsa les tendances conservatrices partout en Europe.

En Suisse, le PDC est emblématique de cette évolution des partis conservateurs. Fondé au milieu du XIXe siècle sous le nom de Parti catholique conservateur, il prend en 1894 le nom de Parti populaire catholique, en 1912 celui de Parti conservateur populaire, en 1957 celui de Parti conservateur-chrétien social. La rupture a lieu en 1970, quand le parti prend le nom de Parti démocrate-chrétien, abandonnant ainsi l’étiquette conservatrice. Cet ultime changement de nom correspond à une évolution idéologique réelle, qui se manifestera de manière éclatante une dizaine d’années plus tard. Alors que le PDC et ses ancêtres avaient toujours siégé, au Conseil national, à droite du Parti radical et du PAI (ancêtre de l’UDC), voilà que, à la suite des élections fédérales de 1983, le PDC siège désormais à gauche du Parti radical, lequel occupait jusqu’alors les sièges situés au centre du Conseil national.

Etrangement, la plupart des commentateurs politiques suisses semblent toujours avoir en tête cette cartographie parlementaire datant de la fin de la Guerre froide, avec un PS à gauche, un PDC au centre et un PLR à droite.

Pourtant, les clivages idéologiques ont à nouveau profondément bougé à la suite de la disparition du «socialisme réel» en Europe de l’Est. D’une part, les tendances conservatrices ont refait leur apparition, sous la forme de partis souverainistes et «populistes» (en Suisse: l’UDC). D’autre part, les partis socialistes européens se sont convertis au libéralisme modéré.

Or, depuis le XIXe siècle, c’est l’idéologie économique qui opposait les «libéraux» (au sens large, incluant les radicaux) et les socialistes. Sur le plan que certains qualifient depuis quelques années de «sociétal», qui n’est autre que celui des bonnes vieilles questions morales (avortement, euthanasie, consommation de drogue, toutes les questions relatives à la séxualité,…), les libéraux (et radicaux) sont, au niveau des principes philosophiques, tout aussi «progressistes» – c’est-à-dire libertaires – que les socialistes.

Par le double effet, d’une part de l’effacement sur leur gauche du socialisme comme idéologie ayant sa consistance propre, et d’autre part de la renaissance sur leur droite de partis conservateurs (souverainistes et populistes), les partis libéraux (et radicaux) sont en train de redevenir les partis de gauche qu’ils étaient il y a tout juste deux siècles. Voilà la raison fondamentale pour laquelle une partie du PLR (tant parmi les électeurs que parmi les élus et les cadres du parti) semble préférer s’allier – tacitement pour l’instant – au PS plutôt qu’à l’UDC.

Le socialisme européen ayant abjuré le marxisme pour se convertir au libéralisme modéré, la logique voudrait que, sur le plan vaudois, le PS se fasse progressivement absorber par le PLR. Or, par une ironie du sort, bien cruelle pour le parti fondé par Henry Druey, il semble que ce soit l’inverse qui est en train de se passer.

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