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Une étiquette trompeuse

Olivier DelacrétazEditorial
La Nation n° 2126 5 juillet 2019

Il y a un mois, le Synode de l’Eglise évangélique réformée du Canton de Vaud acceptait la nouvelle constitution de la Fédération des Eglises protestantes de Suisse (FEPS). Celle-ci s’appelle désormais «Eglise protestante de Suisse». Sur le plan interne, elle reste une fédération… mais elle tient à ce qu’on l’appelle officiellement «Eglise». En bonne logique, on ne peut être à la fois une Eglise et une fédération d’Eglises. Mais les rusés sires qui sont à la manœuvre ont volontairement laissé l’ambiguïté. Ils ont cédé sur toutes sortes de critiques concernant leur centralisme, tout en tenant bon sur la nouvelle appellation, confiants qu’ils sont dans la vieille formule: «Ils ont accepté le mot, ils accepteront bien la chose». Nous récolterons tôt ou tard les fruits empoisonnés de notre manque d’imagination.

Aux membres du Synode, on a présenté le vote comme une occasion historique de renforcer la communion entre les Eglises cantonales. Plus d’un a même jugé que nous nous rapprocherions ainsi de la plénitude de l’Eglise universelle. Qui peut résister à une sollicitation aussi prometteuse? C’était un piège.

Là où deux ou trois sont rassemblés en mon nom, je suis au milieu d’eux, dit le Christ1. Personne ne pense que le Christ serait plus fortement présent dans un rassemblement de quatre ou cinq, ou de six ou sept. Présent, le Christ l’est toujours pleinement. En ce sens, l’universalité d’une petite Eglise est entière, autant que celle d’une grande. L’universalité ne peut être chiffrée. C’est pourtant ce que certains membres du Synode ont fait, confondant la quantité et la qualité.

Certes, les considérations chiffrées ne sont pas forcément déplacées en matière d’Eglise. La quantité peut aussi être une qualité. On sait, par exemple, que les petites communautés ecclésiales courent plus que les grandes le risque d’une dérive sectaire ou d’une prise de pouvoir par un gourou. Le poids de la multitude diminue ce risque, pondère les excès, exerce une action régulatrice sur l’ensemble.

Mais on ne saurait en tirer argument pour justifier la centralisation à laquelle nous assistons. En effet, chaque Eglise cantonale a sa propre personnalité, forgée au cours de son histoire particulière; cette histoire a engendré une manière locale de vivre la foi; celle-ci a inspiré les institutions qui la structurent et préviennent déjà la tentation sectaire. Et c’est bien à travers ces Eglises locales – «local» ne signifiant pas «petit», mais «lié à un lieu» – que s’incarne l’Eglise universelle. C’est le rôle des autorités de l’Eglise, Synode et Conseil synodal, que de garantir l’autonomie de ce lieu de pratique concrète de la foi, de le protéger contre les menaces internes et externes. Elles ont failli à cette tâche en acceptant la constitution de la FEPS, première étape d’un processus bureaucratique de désincarnation.

L’unité de la FEPS est principalement formelle. Son président dispose d’un certain pouvoir – que la nouvelle constitution a renforcé –, mais d’aucune délégation morale particulière. Sous sa petite houlette juridique, les Eglises cantonales forment et continuent de former un réseau hétéroclite et distendu. Leur coller une étiquette suisse unitaire, c’est tromper le public sur la marchandise. C’est comme ce «vin suisse» qu’à la dernière Exposition «nationale» des concepteurs incultes avaient prévu de réaliser en mélangeant vingt-six vins provenant des vingt-six cantons. Même s’ils avaient versé dans leur chaudron fédéral les vins les meilleurs de chaque provenance, il en serait résulté, au mieux, une mixture imbuvablement plate.

C’est trop peu dire qu’il n’y a pas plus d’universalité, de force de témoignage et de rayonnement dans la FEPS nouvelle mouture, ni même dans la Communion mondiale d’Eglises réformées (ancienne Alliance réformée mondiale), qu’il n’y en a dans la plus petite, pauvre et discrète des Eglises cantonales. En réalité, il y en a beaucoup moins.

Il ne faut pas confondre l’autorité dans l’Eglise universelle et le pouvoir centralisé des ecclésiastiques.

Notes:

1  Matthieu 18:20.

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