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La confusion des luttes

Olivier DelacrétazEditorial
La Nation n° 2135 8 novembre 2019

La notion de «convergence des luttes» signifie que les revendications égalitaires vont toutes dans le même sens et que les militants de tous les combats et de tous les pays doivent unir leurs forces. Égalité des sexes, des appartenances nationales, des cultures, des religions, des orientations sexuelles, des classes sociales, des êtres vivants, humains ou non: même combat! L’urgence climatique, sommairement intégrée depuis peu à tous ces combats, leur ouvre le marché facile des adolescents, des candidats aux élections et des prix Nobel de chimie.

D’une certaine façon, toutes ces luttes convergent bel et bien. Elles visent toutes la même cible, le mâle blanc occidental, cartésien, patriarcal, impérialiste et exploiteur. Et pourtant, malgré leur convergence quant à l’adversaire, ces luttes ne cessent de s’opposer les unes aux autres. Disons même que chacune d’elles inspire, selon le tempérament de ses partisans, des conclusions violemment opposées… et pourtant tout aussi égalitaires.

Faut-il, par exemple, considérer qu’une patronne d’entreprise est une femme libérée qui a brisé le «plafond de verre» du machisme ou une capitaliste, accessoirement de sexe féminin, qui exploite ses «employé ? e ? s»? Et si elle adopte une attitude hautaine à l’égard de ses subordonnés mâles, est-ce la revanche, somme toute légitime, de la femme trop longtemps asservie ou une reprise servile du modèle sexiste ordinaire?

Et ces ouvriers qui, sous la houlette d’un patron progressiste, participent à la conduite de l’usine, incarnent-ils l’idéal égalitaire de la cogestion ou l’ignominie de la collaboration de classe? Et le couple homosexuel qui adopte un enfant après avoir recouru à une mère porteuse stipendiée, représente-t-il l’aboutissement victorieux d’une série de durs combats pour l’égalité ou pérennise-t-il l’aliénation consubstantielle à la communauté familiale? Et nous ne parlons pas du «sexclavagisme» qu’on pourra lui reprocher si la porteuse n’est pas de race blanche.

Certaines féministes affirment qu’une femme peut tout à fait manifester sa pleine liberté en optant pour la burka la plus hermétiquement obscure et en acceptant d’être la troisième épouse d’un époux trois fois plus âgé qu’elle. Mais ne risquent-elles pas, alors, de se faire les complices de l’exploitation millénaire de la femme par l’homme? Doivent-elles au contraire dénoncer une soumission rétrograde aux préjugés masculinistes de la loi coranique? Attention toutefois! la dénonciation pourrait révéler une islamophobie rampante pas très éloignée du racisme galopant.

Une femme a-t-elle le droit de rester à la maison pour s’occuper de ses enfants, parce qu’elle aime ça ou simplement parce qu’elle le juge nécessaire? Ne devrait-elle pas se contraindre à exercer un métier pour témoigner de ce qu’elle est l’égale de son mari, manifestant du même coup sa solidarité avec ses sœurs en lutte? Mais n’est-ce pas créer une nouvelle occasion de conflit familial, sous le prétexte qu’elle gagne moins, ou plus que son mari? Et alors? aborder la question sous cet angle, n’est-ce pas refuser une lutte nécessaire à l’avancée de l’égalité entre l’homme et la femme par souci bourgeois de confort?

L’égalitarisme sectaire qui inspire l’évolution de l’École vaudoise (et suisse, d’ailleurs, et européenne) induit mécaniquement un inégalitarisme non moins sectaire à l’avantage des formations universitaires et au détriment des formations manuelles, techniques ou commerciales… et de ceux qui y apprennent leur futur métier.

Mentionnons encore le cas de ces parents égalitaires, généralement des enseignants socio-constructivistes sévissant dans une quelconque université pourrie de la côte ouest-américaine, qui veulent que leur enfant ne soit pas soumis au diktat génital de la biologie, mais qu’il choisisse librement son sexe selon son «ressenti». Sommes-nous malveillant de penser que ces parents ne seront vraiment satisfaits que si leur petit cobaye opte pour le genre qui ne correspond pas à ses attributs physiques?

Une culture égalitaire est-elle supérieure à une culture inégalitaire? Oui, étant donné la primauté du principe d’égalité. Cela justifierait un impérialisme intransigeant de la première à l’égard de la seconde. Mais il est tout aussi égalitaire de penser qu’il est impossible de juger supérieure ou inférieure une culture à partir d’une autre culture. Une telle position part du principe que les cultures sont imperméables les unes aux autres. D’un point de vue politique, cette conception débouche fatalement sur une situation communautariste, où, comme en France, cent peuples divers sont autorisés à cultiver leurs inégalités religieuses, ethniques ou claniques dans le cadre sans force assimilatrice de l’égalité républicaine.

On pourrait continuer avec les notions de laïcité religieuse, d’appropriation culturelle, de racisme systémique, de décolonialisme, en fait partout où l’on constate les conséquences contradictoires de l’application du principe d’égalité.

En fait, ce principe est en gros acceptable quand il s’agit simplement d’affirmer l’existence d’une commune nature humaine, le droit de chacun à la justice ou le respect du prochain. Les problèmes commencent quand le législateur l’applique à un domaine précis – éducation, école, famille, relations de travail, nationalité, religion. Les responsables, dans ces domaines, se voient alors contraints de ne tenir aucun compte de certaines différences et inégalités objectives ainsi que des conséquences concrètes qu’elles appellent inévitablement.

On nie des évidences physiques. On ridiculise des usages éprouvés et bienfaisants pour le plus grand nombre. On tient pour modifiables à volonté des institutions communautaires universelles et invariables, du moins dans leur raison d’être fondamentale, sinon dans leur forme particulière.

Et puis, comme tout n’est malgré tout pas possible, la nature finit tôt ou tard par répondre à ce genre de manipulations irréalistes. Elle le fait à sa manière inconsciente: brutale, aveugle et approximative. C’est pourquoi les différences et les inégalités qu’on croyait disparues resurgissent sous ces formes frontalement contradictoires.

Les luttes égalitaires convergent effectivement. Elles convergent vers une déstructuration générale, qui atteint non seulement la cible commune, mais aussi, et peut-être davantage, leurs prétendus bénéficiaires.

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