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Le gymnase en quatre ans?

Yves Gerhard
La Nation n° 2135 8 novembre 2019

Un récent article de 24 heures (du 19 septembre) a attiré notre attention sur le fait prétendument inéluctable que le gymnase vaudois passerait de trois à quatre ans, comme l’est depuis longtemps le Collège à Genève et à Fribourg. Le fait revêt une importance certaine, pour les élèves, et aussi pour les finances, les bâtiments et la planification scolaire.

Mais tout d’abord, une question de vocabulaire: les gymnases enseignent à des élèves, non à des étudiants. Les gymnasiens, en effet, sont soumis à des règles strictes concernant leur présence aux cours, qu’ils doivent tous suivre en fonction des options choisies, leur présence aux travaux écrits, pour lesquels ils reçoivent des notes, le moment où ils se présentent aux examens, qu’ils ne peuvent choisir en fonction de leur préparation. Ces obligations suivent clairement un régime scolaire.

Quelques chiffres ensuite: il existe actuellement dans le Canton onze gymnases, sept dans la région lausannoise, entre Pully et Renens, et un à Burier, à Morges, à Nyon et à Yverdon. A quoi il faut ajouter le Gymnase intercantonal de la Broye, à Payerne. Et le Gymnase du Bugnon dispose de deux sites plus ou moins indépendants, à la place de l’Ours et à Sévelin. Durant l’année scolaire 2018-2019, 1572 professeurs enseignaient dans ces établissements; beaucoup d’entre eux, il est vrai, le font à temps partiel.

Du côté des élèves, leur nombre a augmenté fortement depuis la réforme de la maturité fédérale, introduite dès 1998 (premières maturités en 2001).

Voici quelques chiffres arrondis pour l’École de maturité et l’École de culture générale, y compris les élèves vaudois du Gymnase de la Broye:

1993: 6700; 1996: 6500; 1999: 6900; 2002: 7600; 2005: 8850; 2008: 9800; 2011: 10’500; 2014: 11’250; 2017: 12’000 (voir graphique ci-dessous).

Ces chiffres sont impressionnants. La courbe dépasse de loin l’augmentation de la population, et c’est pour ainsi dire la moitié des jeunes de cette tranche d’âge qui suit les cours du gymnase. Il a fallu aussi construire dans l’urgence, louer des locaux pour loger, surtout dans l’ouest de Lausanne, les dizaines de classes qui arrivaient. 500 élèves de plus chaque année, cela représente un nouvel établissement tous les deux ans! L’État a partiellement fait le nécessaire, mais à Burier, par exemple, le bâtiment initial était prévu pour 800 élèves et l’établissement en comprend actuellement 2100… On attend depuis dix ans que démarre le chantier de celui d’Aigle. Les besoins actuels exigent que soient construits, en plus, des gymnases à Echallens et à Rolle: ils sont en cours d’étude.

Et si le gymnase durait quatre ans? Une simple règle de trois permet de trouver les chiffres approximatifs, fondés sur ceux de l’année 2018-19, sans augmentation d’effectifs: 2100 maîtres, 16’200 élèves. Peut-on trouver sans trop de peine 500 professeurs supplémentaires, et des locaux pour 4000 élèves, y compris les salles de sport et les laboratoires de sciences? Je laisse aux technocrates de l’école le soin de calculer les coûts et les volumes à bâtir. Deux ou trois établissements supplémentaires devraient être créés, en plus de ceux déjà planifiés. Peut-on, dans un délai raisonnable, envisager 16 gymnases?

Passons maintenant à une autre question: les élèves seront-ils meilleurs, à l’université et dans les hautes écoles, s’ils ont pratiqué durant une année de plus les quinze disciplines du programme1? Bien entendu, ils auront traité un peu plus de sujets, lu un peu plus de livres, abordé quelques questions supplémentaires. Mais il faut toujours revenir à André Guex, qui a enseigné le français durant vingt-neuf ans au Gymnase de la Cité; il évoque Henri Roorda et, justement, la règle de trois enseignée par les maîtres d’école: «Constatant qu’un enfant qui a cinq heures de leçons par jour en tire un certain profit, ils en concluent que le profit sera double si on leur en donne dix. […] Il vaut mieux approfondir peu de choses que d’en parcourir beaucoup. […] Au rythme où les connaissances s’accumulent, il faudra bientôt faire son baccalauréat à cinquante ans.» Évoquant quelques élèves très doués, André Guex rapporte le mot de l’un d’eux, pour qui les études n’étaient qu’une «salle d’attente»! (Des mains, des mœurs, des hommes, Ed. Bertil Galland, 1979)

Actuellement, les élèves qui sont dans l’année juste ont dix-huit ans révolus lorsqu’ils quittent le gymnase. C’est bien ainsi.

Ayant moi-même enseigné vingt ans au Gymnase de Chamblandes le latin, le grec, et aussi le français, la correspondance commerciale et la culture antique dans les classes de culture générale, je puis dire que pour beaucoup d’élèves, ces trois années sont longues. Ils sont souvent impatients de se spécialiser. Toutes ces disciplines du plan d’études à mener de front… Et c’est surtout en 2e année que cette lassitude se fait sentir. Durant la 3e, la perspective des examens, le choix de la faculté ou de la haute école dans laquelle on va se porter candidat, les difficultés de l’orientation professionnelle motivent les futurs bacheliers et diplômés. Souvent, ils constatent qu’au gymnase, la vie scolaire n’est pas aussi différente qu’ils l’avaient imaginé, par rapport à celle de l’école obligatoire. Élèves ils étaient, élèves ils sont restés. On dit volontiers que les jeunes gens sont plus mûrs qu’autrefois, et c’est vrai à bien des égards. Les études universitaires durent au minimum cinq ans. Avant Bologne, on pouvait obtenir une licence en droit ou en lettres après quatre ans. Et c’est compter sans les échecs, les années sabbatiques, les changements d’orientation.

Pourquoi les cantons alémaniques, Genève et Fribourg ont-ils une formation gymnasiale en quatre ans? Cela tient à l’histoire, mais aussi aux exigences de la formation dans l’ensemble de l’école obligatoire. Vaud, comme Neuchâtel, a toujours placé assez haut le niveau des connaissances au collège, en commençant les options assez tôt. L’existence du certificat d’études secondaires, vrai examen qui oblige à faire la synthèse et à réviser la matière, y est pour quelque chose. La qualité et la formation des maîtres aussi. En Suisse alémanique, rappelons que la première difficulté est de maîtriser le bon allemand.

Et en prenant la question par l’autre bout: faut-il retarder encore d’un an, pour la moitié de la population, le début des cotisations à l’AVS? Non, bien sûr. Fondamentalement, il n’y a aucune raison de prolonger les études gymnasiales.

1  Voir vd.ch, puis Formation et Formations gymnasiales.

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