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L’initiative «Davantage de logements abordables» manque sa cible

Olivier Klunge
La Nation n° 2137 6 décembre 2019

Le 9 février 2020, le peuple et les cantons suisses se prononceront sur l’initiative «Davantage de logements abordables» qui entend élargir les compétences fédérales en matière de logement (article 108 de la Constitution fédérale).

Sur le plan institutionnel…

Relevons d’abord que l’échelon fédéral est particulièrement inadapté pour traiter de politique publique en faveur de la construction de logements répondant aux besoins de la population vulnérable. S’il est un domaine où les cas d’espèce et les circonstances sociales, économiques et structurelles locales sont prépondérants, c’est l’immobilier. Est-il pertinent de régler de manière uniforme la question du logement à Genève, à Visperterminen, à Olten et à Trogen? Même au sein d’une agglomération, les défis sont très divers: s’il faut assurer à Pully ou Lutry que les jeunes indigènes quittant le nid familial puissent trouver un appartement à louer, Chavannes ou Ecublens cherchent plutôt à attirer des familles de la classe moyenne supérieure.

Une politique du logement efficace et pragmatique doit être le fait des cantons et des communes (qui le font d’ailleurs déjà de manière active tant au niveau législatif que financier). Régler ces questions au niveau de la Confédération entraîne surtout un surplus de bureaucratie et une inflation réglementaire. Pour cette question institutionnelle déjà, l’initiative doit être refusée.

Le fédéraliste ne pourra d’ailleurs s’empêcher de noter que l’alinéa 7 proposé par les initiants prévoit que la Confédération «autorise» les cantons et les communes à introduire un droit de préemption en leur faveur pour servir les buts de l’initiative. Or les cantons, par leur compétence générale, ont de toute façon le droit de prendre des mesures de droit public. Plusieurs cantons, dont Vaud, connaissent des formes de droit de préemption lié à l’aménagement du territoire. C’est donc une hérésie populiste que de vouloir inscrire dans la Constitution fédérale une prétendue délégation d’une compétence que les cantons détiennent de plein droit.

… comme en pratique

Sur le fond, l’initiative ne se préoccupe en fait pas de logement à loyer abordable, mais d’encourager les maîtres d’ouvrage d’utilité publique, en prévoyant en particulier que 10% des logements nouvellement construits «à l’échelle de la Suisse» devront être la propriété de ces derniers.

Or, la définition légale actuelle des maîtres d’ouvrage d’utilité publique concerne en fait exclusivement les coopératives et autres organisations parapubliques qui ont besoin d’un financement prépondérant ou de cautionnement de l’Etat, excluant tous les maîtres d’ouvrage construisant des logements abordables sans subvention.

Le but de l’initiative est donc fondamentalement d’élargir la part de l’Etat et des organisations dépendantes de lui dans le marché immobilier locatif. Or, s’il est évident que le logement, bien de première nécessité, ne peut être laissé aux seules lois du marché, l’expérience permet de douter que l’étatisme soit une bonne solution. En particulier, le moyen du subventionnement entraîne des coûts très importants pour les contribuables (6,5 milliards engagés actuellement) pour une part infime de logements (moins de 4%)1. Comme ce sont certains immeubles de certains propriétaires qui sont subventionnés, ce sont les quelques chanceux, suffisamment au fait des opportunités et connectés dans les milieux coopératifs, qui bénéficieront de ces logements subventionnés et qui y resteront même si leurs revenus augmentent pour dépasser largement les seuils du besoin.

L’arithmétique montre aussi les ambitions d’étatisation du parc locatif de l’initiative: les 170’000 logements des maîtres d’ouvrage d’utilité publique constituent 4% de l’ensemble des logements (soit 6% des logements en location, compte tenu d’une part de 38% de logements en propriété). Si l’on considère qu’il se construit 50’000 logements par an (dont probablement 19’000 destinés à la propriété), il faudrait que 90% des logements destinés à la location soient réservés à des coopératives ou organisations paraétatiques pour que l’objectif de l’initiative soit atteint dans dix ans.2

Une bombe à retardement

La structure de financement des co- opératives les rend particulièrement vulnérables à un retournement du marché immobilier et à une modification dans les conditions de crédit hypothécaire. En effet, outre les subventions, les coopératives se financent de manière prépondérante par des prêts hypothécaires, souvent auprès d’organismes alimentés ou cautionnés par la Confédération, généralement avec, en plus, un cautionnement cantonal et/ou communal. Les fonds propres des coopérateurs ne constituent ainsi pas plus de 5% de la valeur de l’immeuble.

En cas de hausse, même légère, des taux d’intérêts, les charges des coopératives augmenteront fortement (car elles portent sur 95% de la valeur des loyers) alors que ces derniers n’augmenteront que dans une moindre mesure, vu les règles légales en matière de fixation des loyers. S’agissant de loyers sociaux, une hausse poserait également des problèmes politiques et sociaux. Par ailleurs, comme les loyers sont fixés de telle manière qu’une coopérative ne fait pas de bénéfice, une hausse des charges entraînera donc très rapidement une situation de déficit structurel. A la fin, la Confédération et les cantons, qui auront prêté et cautionné à des taux proches de zéro, seront appelés au secours pour abandonner leurs créances, au frais du contribuable.

Les privés peuvent louer abordable

Le subventionnement et le cautionnement publics ne sont pas les seuls moyens d’encourager les loyers abordables. Les privés construisent aussi des logements à loyer abordable. L’Etat et les communes, lors de la révision de leurs plans d’aménagement, seront bien inspirés, comme le permet la législation vaudoise, de prévoir des périmètres réservés à de tels logements ou d’offrir des bonus constructifs. On pourrait aussi imaginer des incitations fiscales ou des partenariats public-privé.

L’Etat doit conserver la maîtrise de l’aménagement et de l’utilisation de son territoire, en laissant suffisamment de marge de manœuvre aux communes et aux propriétaires, dans un domaine imperméable à l’uniformisation. Il est par contre illusoire de penser qu’il sera toujours meilleur constructeur, meilleur gérant et meilleur bailleur que les propriétaires privés. La durée des procédures pour développer les terrains en main communale, comme les scandales médiatiques sur l’occupation des logements en main publique par des proches du régime, le prouve assez.

Nous voterons NON à cette initiative centralisatrice, inefficace et nocive.

Notes:

1  Rapport additionnel de l’administration sur l’objet 18.035n du 23.10.18, annexe 2.

2  Fondé sur les chiffres publiés par le Conseil fédéral le 25.11.19.

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