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La médicalisation de la pensée

Olivier DelacrétazEditorial
La Nation n° 2139 3 janvier 2020

M. Justin Trudeau, membre du parti libéral du Canada et premier ministre, a connu quelques soucis ces derniers temps. Son programme et ses prises de position publiques, son sourire et sa gestuelle avaient fait de lui l’incarnation indépassable de l’antiracisme, de l’antisexisme, de l’antihomophobie, du multiculturalisme et du mondialisme. Adversaire de la politique d’assimilation, qui repose sur la primauté de la communauté d’accueil, il était un partisan affirmé du communautarisme, c’est-à-dire de la coexistence sur pied d’égalité des diverses communautés culturelles qui peuplent le Canada.

En septembre dernier, pourtant, il s’est vu accusé de racisme à la suite de la publication, par le magazine américain Time, d’une photographie de lui où, lors d’un bal costumé sur le thème des Mille et une Nuits, il s’était fardé le visage en brun foncé pour jouer Aladin. C’est ce qu’on appelle un brownface, ou un blackface, grimage que les Etats-Unis considèrent comme raciste.

Le parti conservateur a joué les scandalisés. Personne n’était dupe, mais c’était dans l’ordre électoral des choses. D’autres, en revanche, se sont réellement effrayés, comme s’ils voyaient, dans le racisme, non tant une idée fausse qu’une maladie contagieuse.

M. Trudeau s’est alors trouvé dans la position d’un médecin qui aurait voué sa vie à lutter contre une maladie et qui, par maladresse, l’aurait contractée. Ce médecin, pour excellente qu’ait été sa carrière médicale, n’en serait pas moins contagieux, pas moins dangereux. Et il n’en faudrait pas moins le mettre en isolement pour éviter la contagion. Et il sera prudent de s’en distancer d’autant plus qu’on l’aura fréquenté de plus près et qu’on sera, par conséquent, plus suspect d’être contaminé.

Que l’indignation soit souvent surjouée ne diminue en rien sa portée. Son caractère excessif sera même plutôt apprécié, comme étant la marque d’une plus grande sensibilité au mal. Plus l’indignation est forte, plus l’indigné démontre son honorabilité.

Si vous subissez une telle mise en quarantaine, évitez surtout d’arguer que vous avez toujours été antiraciste intellectuellement, moralement et politiquement: personne ne le nie et tout le monde s’en moque. Le problème, c’est que vous êtes, le voulant ou non, porteur d’un germe de racisme, comme le prouve le document photographique. Un point c’est tout.

Votre seule chance est d’accepter totalement l’accusation et de vous excuser en public, le plus platement possible. C’est ce qu’a fait M. Trudeau: A l’époque, je ne pensais pas que c’était raciste. Je reconnais aujourd’hui que ça l’était et j’en suis profondément désolé. Ça a suffi, M. Trudeau a été réélu.

Pour des motifs historiques, ce rejet d’emblée, horrifié et intransigeant, se constate surtout lorsqu’il s’agit d’accusations de racisme ou d’antisémitisme. Mais, dans une moindre mesure, il touche aussi celui qui proclame son appartenance nationale et entend défendre sa propre culture, celui qui refuse la mondialisation, celui qui subordonne l’arrivage des migrants aux capacités d’accueil de la population ou celui qui demande simplement plus de sécurité dans les rues.

Dans cette perspective éthico-sanitaire, la langue, les mots, les discours ne sont que des marques d’appartenance collective, des phéromones de reconnaissance permettant au corps social de vérifier qui est un élément sain et qui mérite le «cordon sanitaire».

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