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Vieilles idées et monde d’après

Félicien Monnier
La Nation n° 2152 3 juillet 2020

Le Temps de samedi 13 juin 2020 a consacré une édition géante au «Roman de la pandémie». Dans un article intitulé La Suisse ne sera plus la même, Vincent Bourquin nous a offert un concentré de propositions vues et revues, tant sur la forme que sur le fond. Sous les atours d’une fausse originalité, trois think tanks libéraux ont répété des points de leur programme.

Pour Mme Maria Isabelle Wieser, directrice romande du forum de politique étrangère Foraus, «cette crise a mis en lumière des sujets dont on ne parle pas assez, comme les sans-papiers, le droit des femmes ou la santé». On croit rêver. Avant le coronavirus, les migrants, le féminisme et l’assurance-maladie occupaient à tour de rôle, sinon ensemble, presque chaque journal télévisé ou émission d’information radiophonique.

Pour Mme Wieser, il faut se réjouir de la généralisation du recours à la visioconférence imposée par le confinement: «Cela permettra d’aller plus vite et d’assurer une meilleure coordination entre les institutions.» Sans doute une visioconférence permet-elle de gagner du temps, essentiellement d’économiser le temps du voyage pour se rendre à la rencontre physique. Mais la vitesse n’assure jamais une meilleure coordination. Elle peut aussi être facteur d’erreur et de malentendu. Le stress qu’elle engendre par augmentation du flux d’informations contribue à faire perdre la vue d’ensemble. Cela favorise l’effet de silo, chacun ne s’occupant plus que de sa sphère de compétence et ignorant ce que son voisin fait. Le remède à ce problème réside dans des visioconférences avec un très grand nombre de participants. L’effet recherché, vitesse et coordination, est alors supplanté par la lourdeur d’une telle rencontre qui mobilise tous les agendas au même moment; sans compter que le degré d’attention s’effondre devant un ordinateur.

Cette ridicule technophilie est encore relayée par M. Jérôme Cosandey, directeur romand d’Avenir Suisse, lorsqu’il vante les bienfaits de la démocratie directe numérique. Il préconise la mise sur pied d’un système de récolte de signatures électroniques, dont le nombre serait élevé, en matière d’initiatives fédérales, de 100’000 à 300’000, soit 6% du corps électoral fédéral. Naturellement, sa proposition est assortie de l’idée qu’ «il faut donner un coup de pied dans la fourmilière». La Suisse serait «vraiment en retard». La Nouveauté avec majuscule comme argument d’autorité est un concept bien éculé.

Il faut remercier le professeur de sciences politiques à l’UNIL Bernard Voutat de rétorquer qu’un tel système perd en symbolisme et contribue encore plus à l’individualisation du citoyen par rapport à la chose publique.

M. Cosandey révèle cependant une heureuse évolution de son think tank dans son rapport au fédéralisme. Nous avions souvent dénoncé, dans ces colonnes, les velléités régionalistes du prédécesseur de son prédécesseur, M. Xavier Comtesse. Pour M. Cosandey, le fédéralisme est un «doux mélange qui a bien fonctionné»; il met en avant la culture du dialogue et du compromis que le fédéralisme a permis. Les réalités locales ont été mieux prises en compte.

En revanche, si nous savions déjà que M. François Cherix avait de mauvaises idées en matière de fédéralisme, nous avions simplement fini par l’oublier. Pour le coprésident du Nouveau mouvement européen suisse (NOMES), le Covid-19 aurait fonctionné comme «stress-test» pour le fédéralisme. Pour François Cherix, ce test ne pouvait qu’échouer: «Cette situation a montré que les espaces cantonaux ne sont pas les bons, ils sont trop morcelés, trop petits.» Les médecins cantonaux genevois et vaudois se seraient contredits, preuve cherixienne de l’inanité du fédéralisme. Il vaut pourtant mieux une idée juste appliquée dans une seule des deux entités distinctes, qu’une seule idée fausse appliquée à deux entités. Malgré cela, M. Cherix prône la création de quatre ou cinq grands cantons. Soudain réaliste, il comprend qu’une telle idée n’est pas réalisable en l’état. Il préconise donc la création de structures supracantonales pour s’occuper d’aménagement du territoire, d’école ou de santé.

L’adhésion d’une communauté à une politique est inversement proportionnelle au degré de technocratie des solutions proposées. Les structures supracantonales ne peuvent pas être des structures politiques, parce qu’elles ne recouvrent aucune réalité historique et culturelle vécue. On ne doit pas morceler les domaines. Par hypothèse, attribuer la politique scolaire à l’arc lémanique (Genève-Vaud), ou attribuer l’aménagement du territoire du Plateau romand à une seule entité, composée des cantons de Fribourg, Berne et Vaud, aura pour seule conséquence de diluer le pouvoir entre les mains de fonctionnaires supracantonaux que personne ne contrôlera. Nous commençons à peine aujourd’hui à réaliser pourquoi les deux hôpitaux intercantonaux de la Broye et de Rennaz connaissent d’importants problèmes de gestion. Le supracantonal, c’est la mort de la politique, le triomphe du technocrate.

Vitesse, efficience à tout crin, individualisation et technocratie: est-ce vraiment ce que l’on veut pour la Suisse et le Pays de Vaud du monde d’après? Bien sûr que non.

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