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L’argument Schengen

Olivier DelacrétazEditorial
La Nation n° 2121 26 avril 2019

L’affiche placardée par le parti libéral-radical pour soutenir la nouvelle loi sur les armes proclame en gros caractères: OUI à Schengen ! L’argumentation du parti démocrate-chrétien porte essentiellement sur les bienfaits de Schengen, notamment en matière touristique. Quant au parti socialiste, il déclare: «Un NON conduirait selon toute vraisemblance la Suisse à l’exclusion automatique de l’espace Schengen.» On ne parle que marginalement de l’objet du vote proprement dit. La loi sur les armes nous est-elle utile, nécessaire, vitale? Quelles sont ses retombées secondaires, positives ou négatives? Peu importe: qu’il nous suffise de savoir que si nous l’acceptons, ça ne changera rien pour nous, et que si nous la refusons, nous serons éjectés de l’espace Schengen! Autrement dit, le 19 mai, nous voterons sur Schengen.

L’espace Schengen englobe les Etats de l’Union européenne, sauf le Royaume-Uni et l’Irlande. Les quatre membres de l’Association européenne de libre-échange, dont la Suisse, y sont associés. Les contrôles aux frontières «intérieures» y sont abolis et, en principe, renforcés face à l’extérieur. Schengen, c’est aussi la possibilité, certes étroitement cadrée, pour la police d’un Etat membre de continuer la poursuite d’un malfaiteur dans un autre Etat membre. C’est encore l’entraide judiciaire et l’échange d’informations sur les biens disparus et les personnes recherchées.

La Suisse tire avantage de sa participation à Schengen, tout en y jouant sa partition à satisfaction et en payant sa part des frais, une part qui s’élève annuellement à plus de cent millions. Concrètement, Schengen facilite aussi la vie des centaines de milliers de frontaliers qui passent chaque jour nos frontières sans contrôle. Judiciairement, économiquement et financièrement, l’Union européenne n’a rien à gagner à nous exclure de l’espace.

Si la raison d’être de l’espace Schengen est la lutte contre l’anarchie migratoire, la criminalité transfrontalière et le terrorisme, cet objectif ne sera en rien touché par un non du peuple suisse le 19 mai prochain. Il le sera en revanche, et gravement, si la Suisse ne collabore plus à Schengen. On peut donc tenir pour vraisemblable que notre refus n’entraînera pas une mesure aussi absurdement contre-productive.

Bien entendu, l’Union pourrait quand même décider de punir la Suisse en l’excluant pour incorrection européenne. Cette exclusion marquerait le triomphe de l’irresponsabilité sectaire sur le souci politique. Elle nous donnerait du même coup d’inquiétantes indications sur la marge de manœuvre réelle dont la Suisse disposerait sous l’Accord-cadre.

Schengen est du droit européen, c’est-à-dire évolutif: ceux qui l’acceptent en acceptent a priori les modifications, extensions et suppressions à venir. Du traité de Rome à l’Union européenne, cette évolution est constamment allée dans le sens d’une unification politico-administrative. C’est dans cette perspective orientée qu’il faut interpréter la directive sur les armes. En son article 17, elle annonce déjà qu’elle évoluera au gré des propositions législatives qu’émettra ultérieurement la Commission européenne1. Avec la directive, nous acceptons donc des propositions législatives dont nous ignorons tout.

Nous pouvons toutefois nous les représenter. Ce qui nous semble le plus menacé, c’est le fait que le soldat suisse conserve son arme à la maison. Pour l’heure, la directive n’y touche pas, mais c’est en vertu d’une une dérogation. Nos représentants ont dû batailler pour l’obtenir. Qu’en sera-t-il demain? Si le principe de l’arme à la maison est important pour la population suisse, comme elle l’a montré lors du vote du 13 février 2011, il faut bien comprendre que ce n’est, pour nos partenaires européens, qu’une survivance folklorique en passe de devenir dangereuse. Sa suppression est dans la logique du système évolutif. Que feront les partisans de la directive, quand l’Union donnera ce nouveau tour de vis? Se contenteront-ils de bêler «Schengen, Schengen!…» en sautant comme des cabris?

En recourant à l’argument Schengen, nous donnons une pauvre image de la Confédération. C’est comme si nous agissions en fonction exclusive de ce que les autres vont nous faire si nous ne faisons pas ce qu’ils veulent. Cette attitude de soumission attentive ne peut que renforcer l’Union dans ses revendications à notre égard.

Notes:

1  Voir l’encadré en page 3 de La Nation précédente.

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