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L’Agence Télégraphique, Lausanne (1894-1968), «bouc nourricier de la presse»

Jean-Philippe Chenaux
La Nation n° 2089 2 février 2018

Les graves difficultés que connaît actuellement l’Agence Télégraphique Suisse, avec la suppression de 20% des effectifs du personnel, ont de quoi inquiéter tous ceux qui sont attachés à la cohésion confédérale et à la diversité de l’information. «Affaiblir l’ATS, c’est aussi attenter au fédéralisme», a relevé à juste titre Christian Campiche, président d’Impressum, la principale association professionnelle de journalistes de Suisse. Si le rôle et l’utilité de l’ATS sont bien connus, son origine l’est un peu moins et l’histoire de sa petite sœur lausannoise, l’Agence Télégraphique (AT) de la famille Bonard, pas du tout. Bonne occasion d’en parler puisque c’est en 1968, il y a cinquante ans, que l’ATS s’implantait dans le canton de Vaud en absorbant l’AT, Lausanne, et en créant son propre bureau.

D’où venaient donc ces deux agences de presse? A la fin du XIXe siècle, les agences télégraphiques pullulaient en Europe. Elles avaient souvent mauvaise presse: «cette plaie que l’Egypte ne connaissait pas», disait d’elles le Journal de Genève. Une première Agence Télégraphique Suisse voit le jour à Genève. Son directeur, Tony Loup, décède dans un accident en 1891. L’agence passe aux mains de l’Agence internationale Dalziel, créée l’année précédente à Londres, et prend le nom d’Agence Dalziel suisse. Une bonne plume du Journal de Genève, Paul Seippel, quitte le quotidien libéral pour en assumer la direction. Emoi dans le landernau. Les journaux suisses sont sous la coupe des grandes agences, Havas, Reuters, Steffani et Wolff (Dalziel disparaît en 1893), qui toutes ont des bureaux en Suisse. Il existe bien, depuis 1890, une petite Agence Berna dans la ville fédérale, mais ce bureau d’information est loin de couvrir l’ensemble de la Suisse. Un «Syndicat de journalistes suisses pour l’amélioration de leur service télégraphique» se réunit à Berne le 25 juin 1894 et décide de fonder une agence autonome pour le 1er janvier 1895. L’assemblée constitutive de l’Agence Télégraphique Suisse se tient au Casino de Berne le 25 septembre 1894; elle désigne Charles Morel, secrétaire de rédaction au Journal de Genève, à sa présidence. L’ATS est opérationnelle comme prévu le 1er janvier 1895.

Le 1er mai 1894, le journaliste Arnold Bonard (1866-1944) crée sa propre société, l’Agence Télégraphique, Lausanne. Rédacteur au Nouvelliste vaudois, il a été engagé peu auparavant comme correspondant de la Patrie suisse et de l’agence Berna. Le premier directeur de l’ATS, Louis Ochsenbein, constate très vite l’impossibilité d’entretenir des relations avec de nombreux correspondants cantonaux. Il demande à Bonard d’organiser pour l’ATS un service d’information couvrant l’ensemble du canton de Vaud, de centraliser les informations reçues, d’en faire le tri et de ne transmettre à Berne que celles qui sont de nature à l’intéresser. L’ATS et la Gazette de Lausanne sont les deux premiers clients de l’AT. Sur la suggestion d’Edouard Secretan, rédacteur en chef de la Gazette, le rayon de l’AT est étendu au Valais et aux régions limitrophes. C’est ce qui explique sa dénomination d’Agence Télégraphique, Lausanne, et non d’Agence Télégraphique Vaudoise, que d’aucuns lui donneront à tort. Jusqu’à l’adoption de la machine à écrire à la fin de 1899, c’est l’épouse d’Arnold Bonard, Pauline, née Chaillet, qui multiplie à la main les informations tout en effectuant maints reportages. Le couple, que seconde initialement le journaliste Ernest Dubois, a trois enfants, Susanne, Odette et Paul. Alors que le fils deviendra vigneron-maraîcher à Villeneuve, les deux filles vont bientôt prendre leur part à la bonne marche de l’agence. Susanne, collaborant plus étroitement que sa sœur avec Arnold Bonard, effectuera notamment de nombreux reportages.

L’agence se développe grâce à l’appui de ses deux premiers clients, puis de la Tribune et de la Feuille d’Avis de Lausanne, de la Feuille d’Avis de Vevey, du Journal d’Yverdon, de la Tribune et du Journal de Genève, ses principaux abonnés dans les années 1920. Tout en renseignant l’ATS, l’AT sera pendant des décennies la «providence» de la presse vaudoise et de plusieurs journaux des cantons voisins; Paul Rochat, directeur de la Tribune de Lausanne, reprenant un mot prononcé au Grand Conseil, la qualifiera même de «bouc nourricier de la presse». La véracité, la rapidité et la neutralité, les trois grandes règles inscrites au fronton de l’ATS, seront aussi à l’honneur à Lausanne.

Pionnier du journalisme d’agence, né à Croy, Arnold Bonard a été en 1900 l’initiateur et le cofondateur de l’Association de la Presse vaudoise, puis son secrétaire-caissier pendant une trentaine d’années. Il a aussi été membre d’honneur du Cercle lausannois des journalistes professionnels, dont sa fille Susanne a été l’un des membres fondateurs en 1931. Il a encore été secrétaire de l’Union romande des éditeurs de journaux, fondée en 1920, et conseiller communal libéral à Lausanne de 1901 à 1913. On lui doit de nombreux articles dans la Revue historique vaudoise et une Histoire de Romainmôtier.

A son décès en 1944, Susanne (1892-1971) et Odette (1897-1987) assument seules la direction de l’agence lausannoise. Les archives s’entassent dans d’innombrables cartons à chaussures. Un premier versement est effectué aux Archives Cantonales Vaudoises. En 1968, les «Demoiselles Bonard» prennent leur retraite. Le sigle «at» disparaît des journaux et l’«Agence Bonard» est officiellement intégrée à l’ATS, dont l’antenne régionale à Lausanne a été confiée au journaliste Charles Montandon, bientôt rejoint par Jean-Claude Jaccard. Les derniers pans de la montagne de cartons sont versés aux ACV, où ils vont constituer le fonds «Dossiers ATS». On y trouve plus de 15’000 dossiers concernant des personnalités, en majorité vaudoises, vivant à partir de 1850 environ, et quelques centaines de dossiers consacrés à de grands événements survenus en Suisse entre 1880 et 1965, regroupés sous le titre générique «municipalités et manifestations». Une mine d’or pour les chercheurs.

Référence:

Guide des ACV, 1993, p. 98; ACV: PP 437/64-65: note dactyl. et texte du discours prononcé par A. Bonard le 12 mai 1924; [E. Gétaz], «Un jubilé», Feuille d’Avis de Vevey, 13 mai 1924; «Décès d’Arnold Bonard», La Revue, Tribune, Feuille d’Avis et Gazette de Lausanne, 22 novembre 1944; Annales valaisannes, janvier 1945; Maurice A. Bonard [son petit-fils] «Souvenirs d’Arnold Bonard», 11 mai 1985.

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