S’arrêter et sourire
Revenant d’Afrique sahélienne, l’atterrissage en Suisse amène son lot de surprises et, inévitablement, le voyageur redécouvre son pays sous un autre angle. Un élément frappe particulièrement: il existe une certaine courtoisie dans nos échanges quotidiens. Nous sommes menacés de l’oublier mais, poli par des siècles de civilisation, notre mode de vie est imprégné de règles immédiatement inutiles, mais bénéfiques à l’ensemble des rapports sociaux, que l’on appelle la politesse.
Ainsi en va-t-il par exemple de certaines prescriptions de la circulation routière. Pourquoi la voiture cède-t-elle le passage aux piétons? Parce que le piéton, étant plus vulnérable, est tributaire du bon vouloir de la masse de ferraille pour passer sans danger. Le chauffeur se fait donc un honneur de laisser passer le bipède chaussé sans démonstration de sa force, toute relative et passagère.
Cette priorité inversée par rapport à la loi de la jungle offre une perspective qui adoucit la vie en commun. Résultat lointain de la lente soumission des guerriers aux obligations de la charité chrétienne pour canaliser leur énergie à travers un code de chevalerie, elle a évolué dans nos sociétés démocratiques et laïcisées vers une version subjective du «droit des piétons» sanctionné par la loi positive.
Cependant, cette vision qui consiste à rendre normal et obligatoire un geste originellement magnanime tend à faire perdre de sa noblesse au freinage volontaire, et au chauffeur de sa vertu et de son panache. Force est de constater que l’obligation légale, de par son aspect coercitif risque de dénaturer l’attitude généreuse, et qu’en définitive, certaines règles de la LCR deviennent à la courtoisie ce que le service social est à l’amour du prochain. Avec pour résultat un nouveau durcissement des rapports sociaux.
Un moyen pour le piéton de lutter contre cette évolution fâcheuse est tout simplement de ne pas considérer son passage comme un droit acquis, et de ne pas manquer de remercier le chauffeur qui se soumet à la prescription. Il aura ainsi œuvré de façon efficace et ordonnée pour la paix dans le monde. Et avec élégance.
Au sommaire de cette même édition de La Nation:
- Une révolution sans chef – Editorial, Olivier Delacrétaz
- Penser Noël – Cosette Benoit
- La fin de «Commentaires.com»? – Olivier Delacrétaz
- Questions sans réponses – Jacques Perrin
- On nous écrit – On nous écrit, Jean-Blaise Rochat
- Occident express 20 – David Laufer
- «Destins d’ici»: le regard de Bertil Galland sur la Suisse du XXe siècle – Jean-Philippe Chenaux
- Le pour et le contre – Le Coin du Ronchon