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Actualités  |  Mardi 28 septembre 2021

Du paysage au pays, de la contemplation à l’action

Du vallon du Nozon, un plateau prolonge au-dessus de la plaine de l’Orbe le pied du Jura né à Gimel. L’archipel des villages allant de Pompaples à Montcherand offre des points de vue riches en enseignements politiques, par contraste avec d’autres.

Du fond de la plaine de l’Orbe, et en direction du Nord, le regard se perd au-dessus du lac de Neuchâtel, dont les brumes ou les reflets font certains jours s’effacer les contours du paysage. En direction du Sud, le verrou du Mormont interdit la vue sur les douces collines courant jusqu’aux hauteurs de Morges. Cela est bien dommage. Certains soirs d’été, on s’y croirait chez Virgile.

Transposé en politique, ce regard est celui du flux tendu et de l’action quotidienne. Il fait oublier les réalités supérieures et se concentre sur les nécessités du jour. Il relègue la perspective à long terme à des hésitations brumeuses. Il s’alourdit du sentiment de frustration que le cloisonnement bureaucratique favorise. Cette vue épuise le caractère en le forçant à la tâche répétitive.

Du sommet du Suchet ou de la Dent-de-Vaulion, la vue serait par trop impériale. Les forêts neuchâteloises s’étaleraient au loin sur la gauche. Les neiges éternelles de l’Oberland marqueraient lourdement leur dissymétrie avec la Dent-d’Oche et les Cornettes, avant-postes savoyards. Passé une certaine altitude, les anfractuosités du terrain disparaissent et le pays s’aplatit. En tournant le dos, le spectateur se perdrait dans l’étalage foncé du Jura français. Son regard serait celui du pionnier contemplant, pour la première fois, les profondes forêts du Nouveau Monde.

Cette vue exprime la tentation de la puissance. Elle caractérise l’abandon, individuel ou collectif, à l’élan romantique. Par indifférenciation, elle néglige les subtilités particulières: les autonomies coutumières ou légales des communautés, les mœurs des habitants, les frontières biscornues livrées par l’histoire. Cette dernière n’est dépeinte que grandiose: chocs d’empire, batailles sanglantes, aventures civilisationnelles.

Bien commun et identité

Mais à Montcherand, lorsque le vent est favorable, on entend les cloches du temple d’Orbe. Depuis Arnex ou Croy, on voit la succession des vallons boisés qui creusent le Gros-de-Vaud. À Pompaples, sous le château des sires de La Sarraz, on plonge un orteil dans le Nozon, l’autre dans la Venoge, le premier dans le Rhin germanique, le second dans la Méditerranée latine.

Ce regard est celui du bien commun. Il contemple les communautés de la hauteur suffisante pour connaître leurs interactions et arbitrer leurs conflits, sans occulter l’unité qui les arrime les unes aux autres. Il discerne, dans les mœurs et habitudes quotidiennes d’un peuple, les lignes de forces religieuses, linguistiques ou patrimoniales ayant forgé son identité. Il comprend combien la défendre sera pour les Vaudois le seul moyen d’accéder à l’universel.

(Félicien Monnier, 24 heures, 28 septembre 2021)