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La Bible, un texte sacré parmi d’autres? A propos de la Haute Ecole de Théologie

Olivier DelacrétazEditorial
La Nation n° 2017 1er mai 2015

Nous manquons de pasteurs. Emmené par M. Jean-Claude Badoux, ancien président du Conseil synodal de l’Eglise évangélique réformée du Canton de Vaud, un comité planche depuis des années sur une Haute Ecole de Théologie orientée vers le ministère. Elle devrait ouvrir d’ici deux ans.

Le Conseil synodal actuel n’est pas enthousiaste. Il craint que, sous l’influence de quelques membres du comité provenant de milieux évangéliques, la rigueur scientifique à laquelle il tient ne se dissolve dans une lecture trop fidéiste des textes. «Pour nous, c’est très important de pouvoir étudier la Bible comme si on travaillait des textes du Coran ou d’autres textes sacrés, avec une forme de neutralité confessionnelle et religieuse. Il n’y a pas lieu d’avoir une approche différente avec la Bible», déclare Mme Line Dépraz, membre du Conseil synodal.

C’est vrai que, par souci de fidélité aux Ecritures, certaines mouvances évangéliques extrêmes – non représentées dans le comité de la HET – refusent le principe même de l’interprétation, qui suppose une prise de distance face aux textes. C’est un combat sans objet, car on n’évite pas l’interprétation. Même la lecture littérale de la Bible est une interprétation: saisir le sens exact des mots, des versets, des livres et de leur agencement; relever les analogies, les références, les renvois d’un Testament à l’autre; résoudre les apparentes contradictions; rapporter chaque détail à l’ensemble, tout cela relève de l’interprétation. Le seul fait de contester une interprétation constitue une interprétation.

L’intelligence est une part essentielle de l’image de Dieu en nous. Comment ne pas y recourir en lisant la Bible? La question se pose d’autant plus que les Ecritures ne sont pas dictées mot à mot, comme le Coran, mais inspirées. Elles sont écrites dans le style de l’époque et de l’auteur. Et c’est d’un même mouvement que Dieu œuvre à travers la liberté des auteurs de la Bible et à travers l’intelligence des chrétiens qui l’étudient.

Bannir l’intelligence humaine de la lecture des Ecritures revient à leur donner un statut divin, ce qui représente une forme d’idolâtrie. Répétons que ce n’est la position d’aucun membre du comité de travail.

Quoi qu’il en soit, est-il pour autant adéquat d’aborder la Bible comme un simple texte sacré parmi d’autres pour le décortiquer scientifiquement? Autant dire qu’un athée formé à la Faculté pourrait saisir l’essentiel de la Bible aussi bien qu’un saint.

Nous comprenons le souci de prouver à un monde fasciné par la maîtrise technique que la religion n’est pas contraire à la raison. Mais le Conseil synodal va bien au-delà.

A notre avis, sa position bute sur les faits surnaturels qui, parties intégrantes du récit biblique, échappent par définition à l’approche rationnelle. Que doit donc en faire le théologien qui prétend lire la Bible comme n’importe quel autre texte sacré? Les passer sous silence au nom d’une «objectivité» purement terrestre? Soumettre leur véracité aux critères de la raison naturelle, ce qui débouche nécessairement sur leur négation? Dans un cas comme dans l’autre, ce théologien est mal pris, car ce sont ces faits-là qui rythment la Révélation biblique, lui donnent son sens général et en éclairent les détails.

En réalité, la foi, ne serait-ce que sous la forme d’un premier acte de confiance aveugle en un appel imperceptible, est nécessaire à notre intelligence pour qu’elle puisse saisir adéquatement la portée des textes.

D’ailleurs, la recherche théologique moderne à laquelle le Conseil synodal se réfère n’est pas si rigoureuse que ça. Elle est le théâtre d’affrontements de fond et de forme, de conflits personnels et de coups de force intellectuels pas forcément scientifiques. Les idéologies les plus saugrenues, les interprétations les plus désinvoltes et les préjugés les plus crasses peuvent se glisser à travers ses failles.

Le texte biblique est un portail ouvert par le Christ entre les deux mondes, l’occasion d’un dialogue permanent entre Celui qui l’a inspiré et ceux auxquels il est destiné. Comme tout dialogue, il est fait de deux mouvements alternés: la réception et l’appropriation; la confiance et le jugement; la contemplation et la réflexion; le rapprochement fusionnel et la distance. La contemplation informe l’intelligence. L’intelligence précise la contemplation.

C’est un cheminement prudent entre deux extrémités dont chacune, prise isolément, est un poison mortel pour la foi: d’un côté, l’idolâtrie du texte divinisé et le mépris pour l’intelligence humaine, de l’autre, la certitude orgueilleuse du sujet connaissant juché sur sa raison toute puissante. Relativisées, reliées par le dialogue, les deux se contiennent mutuellement, se rectifient, se tirent l’une l’autre vers le haut.

Un tel dialogue nécessite un engagement personnel en profondeur qui empêche radicalement d’aborder le Coran, ou d’autres textes sacrés, de la même manière.

Dans la situation actuelle de pénurie, la création de la Haute Ecole de Théologie éveille de nombreux espoirs. Le chemin est parsemé d’obstacles. Nous souhaitons qu’on n’en rajoute pas d’inutiles et qu’on ne cherche pas dans des différences, même importantes, des motifs de blocage et d’excommunication.

Que le mouvement naturel du dialogue inspire aux protagonistes un échange constructif, et pas forcément sur la place publique!

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