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Le Canton a besoin d’un musée des Beaux-Arts

Olivier DelacrétazEditorial
La Nation n° 1848 24 octobre 2008
On peut penser qu’un musée des Beaux-Arts doit être au centre de la ville, comme un diamant dans un écrin. On peut aussi penser, fondation Beyeler et Römerholz à l’appui, qu’il jouera aussi bien son rôle à l’extérieur, pour autant que les transports publics et les places de parc répondent à la demande. Certains jugent à la fois banal et disproportionné le projet sur lequel nous voterons le 30 novembre, d’autres estiment que ses lignes simples et ses grandes surfaces calmes s’accordent au paysage lémanique, fait pour l’essentiel de grands pans de montagne, de ciel et d’eau. Remarquons en passant que seuls l’âge du bâtiment et l’habitude que nous en avons nous empêchent de frémir devant la tourte néo-florentine de Rumine. Les uns craignent que le montant originel de soixante-huit millions ne se transforme en huitante ou nonante millions. D’autres doutent même que le musée hébergera durablement la collection Planche. Mais ce sont des appréciations ou des prévisions sur lesquelles on peut légitimement diverger. En tout cas, aucune d’entre elles ne nous semble déterminante.

Ce qui est déterminant pour le comité d’opposition, c’est le fait qu’on prévoie d’ériger le musée sur les berges mêmes du Léman. Ce fait, estiment-ils, est inadmissible dans son principe. Le bord du lac n’est pas extensible. il est déjà trop construit. Sa pureté native, que Bocion, Hodler et combien d’autres ont chantée sur tous les tons, est suffisamment abîmée par l’homme. C’est un devoir absolu de préserver ce qui en reste: n’importe quel édifice de plus serait un édifice de trop!

Cette position sans appel repose, sans que ses partisans en soient forcément conscients, sur le préjugé que toute construction humaine porte en tant que telle une atteinte au paysage. Ils jugent cette atteinte acceptable, sous mille et une conditions, quand le paysage est ordinaire. Elle ne l’est plus quand le lieu est particulièrement beau, voire, comme le lac, unique. il ne s’agit pas d’une opinion, mais d’un dogme.

Nous contestons ce dogme. Non que nous demandions qu’on puisse construire n’importe quoi n’importe où au nom de la liberté individuelle et de la propriété privée. Non que les bords du lac n’appellent pas une protection particulière, en particulier contre la laideur et la banalité ordinaires. Nous disons simplement que dans ce domaine, on doit garder une place pour les exceptions. Et quelle exception plus justifiée qu’un musée des Beaux-Arts, qui se trouvera à sa place idéale dans un paysage sublime? Ce ne sont pas les visiteurs de l’hermitage qui prétendront le contraire.

Face à ce dogme, les partisans invoquent le besoin que nous avons d’un nouveau musée. Rumine est vieillot, et surtout trop petit pour les milliers d’oeuvres entassées dans ses sous-sols. Pour ne parler que des peintres de chez nous, sait-on que nous avons notamment trente-quatre Borgeaud, septante-trois Bocion, septante Vallotton, sans parler des gravures, et des Gleyre, des Grasset, des Steinlen, des Biéler en veux-tu en voilà? Nous avons besoin d’un musée plus étendu et qui les mette en valeur. Le musée projeté répond à ce besoin. Sa surface est presque trois fois plus grande, on pourra y exposer dans un espace plus adéquat une part plus importante de ces trésors ignorés du public.

«Nous ne contestons pas la nécessité d’un nouveau musée», répondent en substance les opposants. nous avons d’ailleurs notre propre projet, le «Grand Rumine», qui rénove le musée actuel et l’agrandit en le mettant en réseau avec les bâtiments environnants.

On ne saurait mettre sur pied d’égalité ce prétendu contre-projet, qui n’est qu’une idée hâtivement mise sur pied, et l’objet soumis à notre approbation. Ce que nous avons là, c’est certes une idée, mais c’est aussi toute la maturation de cette idée. C’est toutes sortes d’accords parvenus à terme, passés entre les maîtres de l’opération et les milieux concernés, architectes, entreprises de construction, politiciens et chefs de service, spécialistes des musées, propriétaires de collections, sur l’ampleur et la forme du projet, sur le lieu et l’environnement, sur les matériaux et les voies d’accès. Le projet noue la gerbe de quantité d’efforts et de réflexions, de débats, d’oppositions dénouées, d’avancées et de compromis. Par ce long travail préparatoire qui conduit de l’idée pure au fait concret, le projet s’est fait peu à peu sa place dans la représentation qu’on a de l’avenir de la Ville et du Canton. Si le musée devait être refusé en votation, cette place serait immédiatement occupée par d’autres soucis, d’autres «priorités», la gerbe se dénouerait, les forces qui convergent pour le soutenir se dissiperaient. Les millions promis par diverses fondations privées ne resteraient pas à disposition, et les collections Planque, Pauli et Dubois partiraient pour d’autres cieux. Cela au moins est certain. Avec un nouveau départ, il faudrait une génération pour arriver au point où nous en sommes aujourd’hui.

On ne saurait présenter sous forme d’alternative le projet soumis à notre vote et le prétendu contre-projet des opposants. Ce dernier n’est qu’une pièce marginale de leur arsenal argumentatif, un leurre destiné à calmer les mauvaises consciences.

Au sens strict, nous allons voter sur un crédit d’étude de trois cent quarante mille francs. Mais en fait, tout le monde en convient, c’est la création même d’un musée des Beaux-Arts digne du Canton qui est en jeu. Si le peuple accepte le projet, les opposants ont d’ores et déjà annoncé qu’ils conduiront une guerre de tranchées en multipliant les recours de façon à repousser indéfiniment l’aboutissement des travaux. Un vote très net de la population pourrait les en dissuader.

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