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Un examen difficile

Georges Perrin
La Nation n° 1884 12 mars 2010
Question bien difficile posée aux citoyens français, sur la conception qu’ils se font de leur propre identité nationale. Mais aussi question que chacun se pose partout, en tous pays, dans sa situation, son métier, ses engagements divers; ce qui ne veut pas dire que la réponse soit là, à portée d’interrogation, dans une assemblée ou lors d’un sondage politique. Le plus sage est de chercher un éclairage chez les penseurs, les écrivains ou les artistes qui ont su exprimer ce que ressentent les gens en général, sans pouvoir le conceptualiser. Ne soyons pas étonnés que la campagne mise sur pied par Nicolas Sarkozy et son ministre Eric Besson ait apporté des résultats «décevants». Lors de la délibération à l’Assemblée nationale, les députés étaient douze à prendre part!

Alain Finkielkraut a consacré deux émissions à ce sujet dans le cours de 2009. L’une des deux avait comme invités Michel Winock, historien et écrivain, et François-Georges Maugarlone, un politique; la discussion est partie du constat que l’héritage de la France est double: l’un monarchique et catholique, l’autre fondé sur la philosophie des Lumières et l’idée de Nation une et indivisible. Ce qui a permis aux deux conceptions de coexister, c’est d’une part l’introduction, dans la Constitution, de la laïcité, notion spécifiquement française, absolument inconnue de tous les autres pays. (C’est ce qui a été affirmé; mais faire de la laïcité un déterminant de l’identité paraît assez pauvre, car son contenu est plus négatif que positif.) D’autre part, comme deuxième facteur d’unité est mentionnée la guerre, celle de Valmy d’abord, qui prépare celle de Verdun! (Nulle mention des guerres napoléoniennes ni de celle de 1871!) Et les interlocuteurs de se demander si, présentement, les immigrés ne jouent pas ce rôle d’unificateur des volontés.

Enfin, Finkielkraut fait intervenir un troisième facteur, positif celui-là, la langue, la littérature. La littérature a une place prépondérante chez les Français dans la conscience qu’ils ont d’eux-mêmes; les étrangers l’attestent; les Allemands par contre privilégient la philosophie et la musique. Michel Winock ajoute que les étrangers sont stupéfaits d’entendre, dans les débats politiques, les orateurs citer les grands auteurs de «notre» littérature. Et n’oublions pas la gloire du roi Voltaire, dont la dépouille fut transportée au Panthéon. Et celle de Victor Hugo. Et les noms littéraires qui se sont ajoutés à des noms géographiques: Illiers est devenu Illiers-Combray en l’honneur de Proust, Milly est devenu Milly-Lamartine, La Haye, La Haye-Descartes.

Cependant la littérature, en ces temps, est en mauvaise posture; elle est, vis-à-vis des immigrés, comme aussi des enfants français, un héritage et, pour reprendre une expression de Renan, un héritage non racial, c’est-à-dire qu’il se transmet par la langue, et donc principalement par l’école. Or, l’école est en pleine difficulté et incapable de jouer le rôle d’instrument d’assimilation, comme elle le fut naguère, avec le parti communiste avant qu’il ne disparaisse, et avec l’Eglise qui ne peut plus intervenir s’agissant de populations non chrétiennes. Des groupes politiques importants, la gauche en particulier, refusent de voir le problème, et accusent ceux qui en parlent d’ostracisme, de xénophobie.

De ce fait règne, chez les immigrés en majorité, un mépris, voire une haine à l’égard de tout ce qui porte le nom de français. On en a pour preuve les productions de certains rappeurs à succès, et les sifflements qui ont accueilli en Afrique du Nord des matches de football où la Marseillaise voulait célébrer la victoire. Et c’est le refus de toute intégration: «Je ne suis pas un Français issu de l’immigration, je suis un Français faisant partie de la diversité française» (celle-ci englobant tout ce qui reste étranger, donc non assimilable).

L’enseignement de l’histoire a une responsabilité dans cette dégradation de l’esprit, disent les historiens: il ne se montre plus capable de s’inscrire dans le coeur des étudiants. C’est un enseignement européen par la matière (Athènes, le Moyen-Age, et particulièrement la belle période de l’Andalousie, et ensuite la formation de l’ensemble continental); c’est comme un nouveau catéchisme voué à former de bons citoyens, mais sans rien de spécifiquement français. La tendance est à déconstruire le «roman national», l’«histoire sainte» française, celle des grands hommes et des grands événements. Et François-Georges Maugarlone nous apprend qu’une histoire franco- allemande est en chantier; il sera heureux, quant à lui, de ne plus enseigner les batailles et les conflits, mais plutôt les hauts faits de l’art, la Joconde, la Neuvième et la Sixtine.

En somme, cette discussion nous apporte peu de lumières sur l’identité que peuvent découvrir en leur intimité les Français; à part la langue et la littérature, où l’accord est facilement acquis, on nous parle surtout de sujets de division (dans les blogs, les critiques sont virulentes à l’égard de cette initiative malheureuse du gouvernement). L’identité, pensons-nous, est faite de ce qui est commun à tous, des réussites dans les multiples domaines de la vie des hommes, matériels, sociaux, intellectuels, spirituels. La laïcité, qui devrait être une mesure d’apaisement des conflits religieux, reste aussi une occasion de conflit suivant le sens que chacun lui donne.

La seconde émission de Répliques sur le même sujet est beaucoup plus positive, grâce à la participation d’une Bretonne, Mona Ozouf, historienne et écrivain, et d’un Limousin, Jean Baubérot, sociologue des religions et titulaire d’une chaire d’histoire de la laïcité. L’un et l’autre font référence à leur passé et leur enfance dans une famille en province. Mona Ozouf fait Retour sur une enfance bretonne sous le titre de Composition française, indiquant par là l’autre source de sa formation: les études supérieures, l’université, Paris, une autre connaissance du pays, de son histoire, des milieux intellectuels.

L’enfance dans un village breton est déjà marquée par des oppositions constantes: le père est bretonnant quoique venant de la Bretagne francophone, la mère s’exprimant de préférence en français quoique venant de Basse- Bretagne (et sa mère à elle parlait le breton). Le père est d’un parti de gauche, il enseigne dans une école républicaine, tout en considérant celle-ci, par patriotisme breton, comme un «foyer d’impérialisme français à la pédagogie contraignante, pleine d’étroitesse et de chauvinisme»; mais il est ami des prêtres car c’est dans leur milieu qu’on a gardé le parler traditionnel. Les écoles sont divisées en laïque et confessionnelle. Mona est mise à la laïque, mais fait aussi son catéchisme à l’Eglise. Elle a ainsi trois sources d’enseignement: la maison (culture et langue traditionnelle), l’Eglise (enseignement religieux) et l’école (laïque). Plus tard, elle rencontrera encore beaucoup de fractures dans l’histoire de son pays, tout en gardant des souvenirs très riches de son enfance; elle ne voudra pas choisir entre ses fidélités; les premières sont plus de l’ordre du sentiment, de la complexion personnelle, les autres plus intellectuelles, plus tardives et – peut-être – plus présentables, mais ce n’est pas à nous de décider! Quand on lui pose la question: «Vous sentez-vous plus bretonne, ou plus française?», elle refuse le choix, affirme ressentir également les deux appartenances, et même une troisième, l’européenne!

«D’où vient, se demande-t-elle, l’obsession de l’unité en France?» Au lendemain de l’exécution du Roi, qui symbolisait cette unité, répond en elle l’historienne, il a fallu la remplacer par l’affirmation et la concrétisation d’une autre unité, qui fut celle de la Nation. Et de fait, l’histoire montre que cette unité fut une obsession constante de tous les régimes politiques (suppression des corps intermédiaires, refus de deux chambres, etc.) jusqu’à ce que l’expérience apporte à la longue quelques tempéraments. Dans l’émission, comme dans son livre de souvenirs, Mme Ozouf reproduit deux opinions contradictoires significatives sur le sens de l’identité française: celle de Julien Benda, «La France est la revanche de l’abstrait sur le concret»; celle de Thibaudet: «La France est un vieux pays différencié». Actuellement, selon Alain Finkielkraut, c’est celle de Thibaudet qui a la faveur de l’opinion publique: la Nation est faite de tous les apports divers, autochtones ou étrangers, langues, moeurs, coutumes, religions diverses, qui constituent, par leur présence sur un même territoire, la Nation dans son unité. Mais dans ces conditions, l’expression de nationalité française devient suspecte; universaliste chez Benda, elle devient particulariste selon Thibaudet et laisse supposer l’exclusion à l’égard des non-nationaux; le mot de natif renvoie à étranger, au repli sur une France «moisie». Et ceci n’est pas sans relation avec la mésintelligence observée entre les fractions de la société.

Pour Mona Ozouf, «le Français est maximaliste; il n’aime pas les accommodements; il y a quelque chose dans la tradition française qui fait penser que l’on n’a rien obtenu tant que l’on n’a pas tout obtenu». Et voici une réflexion de M. Baubérot, qui n’est pas optimiste non plus, mais qui est un bel éloge d’un passé constitutif de toute personne: «Ce qui risque le plus la disparition, c’est la culture de la maison.»

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