Le début d'une dérive?
Au moment où ce praticien allait remplir le certificat, en indiquant le genre de décès, selon le formulaire officiel – accident? maladie? – la doctoresse Berner lui indique: «Mets: “Suicide assisté”». Cette façon de faire pression insinue le doute en lui et lui fait apprécier autrement le geste incriminé: il n’écrit pas «suicide assisté» (article 115 du code pénal), mais «euthanasie active» – qui est punissable – (article 114). C’est à ce titre qu’il dénonce, après quelques jours de réflexion, les faits.
Il nous semble qu’on assiste ici à un glissement «sémantique» (suivant l’expression moderne) d’une signification originelle à un sens nouveau; un acte considéré jusqu’ici comme criminel est assimilé à un simple geste qui pour d’aucuns (Exit) devrait être banal, courant, et même entrer dans la formation médicale, et pour d’autres (conseillers aux Etats) devrait déboucher sur une législation suffisant à assurer une exécution honnête, une correction professionnelle, et donc ne donnant pas lieu à enquête judiciaire. Les revendications sont claires. Pour Exit: modifier l’article 114, pour «assouplir la pratique», ce qui se comprend comme l’introduction de l’euthanasie active dans le cadre du suicide assisté, et par conséquent sa dépénalisation. Pour les conseillers aux Etats: pas de poursuites en cas d’euthanasie active, à condition que les critères d’indication soient appliqués strictement.
Si l’on suivait ces opinions, il est à craindre qu’il suffirait de donner une définition légale à l’euthanasie pour que celle-ci se développe à l’ombre de l’officialité, à l’exemple de ce qui a risqué de se passer à Neuchâtel. L’euthanasie active légale est déjà demandée par un certain courant d’opinion, et l’on peut redouter, au niveau politique, la fusion des articles 114 et 115, dont la différence fondamentale est souvent mal comprise ou niée. Le médecin à l’origine de la dénonciation s’exprime sans détour à ce sujet: «Pour moi, il y a un abîme entre l’euthanasie active directe (le geste qui ôte la vie) et celle qui accélère le moment du trépas. Ce n’est pas de l’hypocrisie. C’est une histoire de pouvoir. Dans le suicide assisté et dans l’euthanasie active directe, j’ai le pouvoir de tuer ou de donner la mort. Dans l’euthanasie active indirecte et l’euthanasie passive, je suis dans la non-puissance et tente de soulager. Le pouvoir de tuer m’est intolérable. […] Je peux soigner. Même pas guérir. Tuer: non.» Pour celui qui est impliqué dans la pratique médicale, la confusion n’est pas imaginable. Subjectivement, il sait ce qu’il fait, même si la limite entre les deux actes est, vue de l’extérieur, impossible à tracer.
On est confronté à la difficulté de définir dans un texte ces termes voisins, et de les délimiter objectivement; on retrouve ici l’opposition de la lettre et de l’esprit; la lettre est rassurante, elle procure une certitude, elle est à notre niveau, on en est maître; mais l’esprit n’est pas à notre disposition, la mort est au-dessus de notre responsabilité, et donner la mort, c’est plus qu’une activité humaine ordinaire et cela justifie un jugement en chaque cas.
PS: Dans un communiqué diffusé mardi 4 janvier, le Ministère public neuchâtelois précise qu’«il n’est pas entièrement convaincu par les motifs retenus par le Tribunal de police pour l’acquittement de l’ancienne médecin cantonale. A son avis, le jugement paraît en outre souffrir de lacunes formelles qui auraient éventuellement pu entraîner sa cassation. Il a finalement décidé de ne pas déposer de recours. […] L’acquittement n’a été prononcé qu’en raison de circonstances de fait très particulières».
Au sommaire de cette même édition de La Nation:
- «Les» handicapés à l'école – Editorial, Olivier Delacrétaz
- La naissance d'un trimestriel prometteur – Claire-Marie Lomenech
- En marge du PC – Daniel Laufer
- Mise au point: prestations complémentaires pour les familles – On nous écrit, Pierre-Yves Maillard / Pierre-Gabriel Bieri
- Bienvenue dans le monde sympa! – Jacques Perrin
- La démocratie de la rétine – Revue de presse, Ernest Jomini
- Cyberguerre ou guerre territoriale – Revue de presse, Ernest Jomini
- Fort de tabac – Revue de presse, Philippe Ramelet
- Le dernier cadeau de Moritz Leuenberger – Revue de presse, Philippe Ramelet
- Henri Cornaz, figure de la vie yverdonnoise – Yves Gerhard
- Pour l'arme à domicile et du sang-froid dans les isoloirs – Pierre-François Vulliemin
- Maurice Dantec, écrivain d'aujourd'hui et de demain – Lars Klawonn
- E – Le Coin du Ronchon