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Le début d'une dérive?

Georges Perrin
La Nation n° 1907 28 janvier 2011
Le procès du 6 décembre dernier, fait à la doctoresse Berner, ancien médecin cantonal neuchâtelois, sur l’inculpation d’euthanasie volontaire, a abouti, comme on sait, à un acquittement. Résumons les faits en deux mots: la personne qui avait demandé la mort était atteinte d’une paralysie progressive qui l’empêchait de faire elle-même le geste nécessaire à l’injection intraveineuse mortelle, et ce fut Mme Berner qui le fit à sa place. La situation était tellement émotionnelle, et imposait une décision si rapide, qu’elle explique l’indulgence du tribunal. Mais les conclusions qui en ont été tirées, soit par Exit, soit par les conseillers aux Etats Didier Berberat et Luc Recordon (24 heures du 17.12.2010), révèlent que les circonstances de cette mort ne sont guère connues ni bien comprises; le médecin de garde appelé à constater le décès n’a d’ailleurs pas été convoqué comme témoin au procès, à son grand étonnement.

Au moment où ce praticien allait remplir le certificat, en indiquant le genre de décès, selon le formulaire officiel – accident? maladie? – la doctoresse Berner lui indique: «Mets: “Suicide assisté”». Cette façon de faire pression insinue le doute en lui et lui fait apprécier autrement le geste incriminé: il n’écrit pas «suicide assisté» (article 115 du code pénal), mais «euthanasie active» – qui est punissable – (article 114). C’est à ce titre qu’il dénonce, après quelques jours de réflexion, les faits.

Il nous semble qu’on assiste ici à un glissement «sémantique» (suivant l’expression moderne) d’une signification originelle à un sens nouveau; un acte considéré jusqu’ici comme criminel est assimilé à un simple geste qui pour d’aucuns (Exit) devrait être banal, courant, et même entrer dans la formation médicale, et pour d’autres (conseillers aux Etats) devrait déboucher sur une législation suffisant à assurer une exécution honnête, une correction professionnelle, et donc ne donnant pas lieu à enquête judiciaire. Les revendications sont claires. Pour Exit: modifier l’article 114, pour «assouplir la pratique», ce qui se comprend comme l’introduction de l’euthanasie active dans le cadre du suicide assisté, et par conséquent sa dépénalisation. Pour les conseillers aux Etats: pas de poursuites en cas d’euthanasie active, à condition que les critères d’indication soient appliqués strictement.

Si l’on suivait ces opinions, il est à craindre qu’il suffirait de donner une définition légale à l’euthanasie pour que celle-ci se développe à l’ombre de l’officialité, à l’exemple de ce qui a risqué de se passer à Neuchâtel. L’euthanasie active légale est déjà demandée par un certain courant d’opinion, et l’on peut redouter, au niveau politique, la fusion des articles 114 et 115, dont la différence fondamentale est souvent mal comprise ou niée. Le médecin à l’origine de la dénonciation s’exprime sans détour à ce sujet: «Pour moi, il y a un abîme entre l’euthanasie active directe (le geste qui ôte la vie) et celle qui accélère le moment du trépas. Ce n’est pas de l’hypocrisie. C’est une histoire de pouvoir. Dans le suicide assisté et dans l’euthanasie active directe, j’ai le pouvoir de tuer ou de donner la mort. Dans l’euthanasie active indirecte et l’euthanasie passive, je suis dans la non-puissance et tente de soulager. Le pouvoir de tuer m’est intolérable. […] Je peux soigner. Même pas guérir. Tuer: non.» Pour celui qui est impliqué dans la pratique médicale, la confusion n’est pas imaginable. Subjectivement, il sait ce qu’il fait, même si la limite entre les deux actes est, vue de l’extérieur, impossible à tracer.

On est confronté à la difficulté de définir dans un texte ces termes voisins, et de les délimiter objectivement; on retrouve ici l’opposition de la lettre et de l’esprit; la lettre est rassurante, elle procure une certitude, elle est à notre niveau, on en est maître; mais l’esprit n’est pas à notre disposition, la mort est au-dessus de notre responsabilité, et donner la mort, c’est plus qu’une activité humaine ordinaire et cela justifie un jugement en chaque cas.

 

PS: Dans un communiqué diffusé mardi 4 janvier, le Ministère public neuchâtelois précise qu’«il n’est pas entièrement convaincu par les motifs retenus par le Tribunal de police pour l’acquittement de l’ancienne médecin cantonale. A son avis, le jugement paraît en outre souffrir de lacunes formelles qui auraient éventuellement pu entraîner sa cassation. Il a finalement décidé de ne pas déposer de recours. […] L’acquittement n’a été prononcé qu’en raison de circonstances de fait très particulières».

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