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Habile récupération

Cédric Cossy
La Nation n° 1941 18 mai 2012

L’annonce de la fermeture de l’ancien siège de Serono à Genève est suivie de près par Le Temps, qui a consacré dans son édition du 11 mai une double page d’enquête sur la question. Rebelote le lendemain avec un long article décrivant l’alliance, qualifiée de mariage de la carpe et du lapin, entre les cols blancs menacés de licenciement et le syndicat Unia.

La lecture du dossier présente le rachat de Serono par l’allemand Merck comme un cas d’école d’intégration ratée après une acquisition. Dans un premier temps, les collaborateurs les plus dynamiques de l’ancienne Serono quittent le navire. S’ensuit une période où les «créatifs» genevois sont mis sous le boisseau des «administratifs» de Darmstadt. La motivation baisse, les seuls projets porteurs s’enlisent par la mécompréhension réciproque de cultures de travail différentes. Finalement, lorsque le groupe allemand identifie la nécessité d’économiser, il décide de tailler parmi les «rebelles» genevois qui n’ont pas voulu ou su se fondre dans le moule germanique et dont les résultats n’ont pas répondu à leurs attentes.

L’intégration d’une entité gérée à l’américaine dans un conglomérat germanique n’était pas gagnée d’avance, d’abord en raison de problèmes linguistiques. Les anglo-saxons privilégient ensuite une approche créative de la recherche, alors que les Allemands sont les champions de la planification: si les uns sont organisés pour sortir des culs-de-sac le plus rapidement possible, les autres font tout pour ne pas s’y engager. En ajoutant l’amertume des premiers à avoir été bradés aux seconds contre quelques voiliers de course, toutes les conditions pour un échec étaient réunies.

Si l’on se place dans la perspective de l’acquéreur, cette décision est parfaitement sensée: les ventes de la gamme de produits Serono ont remboursé le prix de l’acquisition de 2006. Les chercheurs genevois n’apportant pas l’innovation escomptée, autant s’en débarrasser, traire la vache suisse tant que ses produits sont rentables, puis se tourner vers d’autres acquisitions destinées à compléter le portefeuille de l’innovation.

Le point de vue des employés de la charrette genevoise est tout autre. Habitués à être le centre du monde et à être adulés à l’anglo-saxonne sous l’ère Bertarelli, les collaborateurs n’ont jamais imaginé ou voulu croire à une telle décision. Non syndiqués, ne disposant pas d’une représentation du personnel structurée, chacun d’eux se retrouve très seul face aux perspectives de licenciement. On est bien loin du Betriebsrat allemand, cette représentation du personnel sans l’approbation de laquelle une entreprise n’a pas le droit de procéder à des licenciements en nombre.

Un retournement de la situation «à la Novartis» est-il envisageable? Trois différences laissent malheureusement penser que les carottes genevoises sont cuites. La première tient à la nature des activités touchées: Prangins est un site de production dont la relocalisation représentait un investissement important. Genève abrite surtout des services, moins coûteux à déménager. La seconde est liée à l’emplacement des maisons mères respectives. Basée en Suisse, Novartis ne désirait pas ternir son image locale et a donc accepté de négocier dès les premières résistances organisées. Merck n’a en revanche pas de lien affectif ou commercial fort avec la Suisse. Un compromis généreux semble donc peu probable de leur part. Enfin, les employés de Prangins sont montés groupés au front, les cadres soutenant les collaborateurs, pour défendre l’entier de leur communauté professionnelle; ceci a évité de tomber dans la lutte des classes et facilité les négociations avec la direction bâloise. Ce lien corporatiste n’est pas perceptible chez nos voisins genevois.

Reconnaissons au syndicat Unia l’intelligence d’avoir perçu cette absence de cohésion dans les rangs des employés de Serono. Quoiqu’aucun, ou presque, des collaborateurs concernés ne soit affilié, Unia s’est offerte pour coacher les employés engagés dans les négociations avec la direction allemande, mais, revers de la médaille, organise des journées de grève et téléguide les actions médiatiques.

Dans une cause qui paraît pour l’essentiel perdue, il est facile de voir qui des employés ou du syndicat va profiter de cette alliance dans l’adversité. Nous doutons que la direction de Merck n’accorde grand crédit à un partenaire syndical apparu de nulle part et ne disposant d’aucune légitimité dans l’entreprise. Les grèves risquent au contraire de créer une irritation peu propice à la négociation la plus humaine possible des licenciements. Unia n’a en revanche rien à perdre dans l’affaire: même sans aucun résultat obtenu de la direction allemande, le syndicat aura renforcé sa réputation de défenseur de tous les employés contre le patronat cupide. Le coup risque de lui rapporter beaucoup de nouveaux membres dans des secteurs jusque-là peu perméables aux idées de la lutte des classes. Que voilà une habile récupération.

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