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Une historiographie neutre? L’exemple vendéen

Jean-François Pasche
La Nation n° 2027 18 septembre 2015

Parmi les thèmes d’histoire de France sujets à de vives controverses, les guerres de Vendée tiennent une bonne place. Pour mémoire, la Convention ordonne le 23 février 1793 une levée de trois cent mille hommes dans toute la France pour réagir à la pression autrichienne sur les frontières. Les deux puissances sont en guerre depuis plusieurs mois. Cette levée va provoquer un peu partout des mécontentements, mais particulièrement dans l’Ouest de la France. En Vendée, les troupes républicaines sont incapables de maîtriser les événements insurrectionnels. En mars, une colonne de soldats de métier est envoyée dans le département pour reprendre le contrôle de la situation. Cependant elle est écrasée par les insurgés, une foule importante de paysans armés de faux et de piques, et non organisée. Cet événement est considéré comme le début de la guerre civile dans l’Ouest. A noter que la zone insurrectionnelle est plus grande que le département de la Vendée. On parle alors de Vendée militaire pour désigner l’ensemble de l’espace couvert par le conflit.

Par la suite, les bandes paysannes s’organisent autour des chefs de paroisses. Les nobles, souvent réticents, sont sollicités pour prendre le commandement aux échelons supérieurs. Une armée catholique et royale se forme, avec des généraux à sa tête, tels que Cathelineau, d’Elbée, Bonchamps, Lescure ou encore Henri de la Rochejaquelein. Cette grande armée est définitivement défaite par les Républicains en octobre.

A l’automne 1793, la terreur révolutionnaire se met en place en Vendée. De nombreux massacres ont lieu. Ceux de Nantes sont parmi les plus tristement connus, notamment par les noyades qui ont été perpétrées dans la Loire. De nombreux prisonniers sont entassés dans les prisons nantaises pour être ensuite exécutés en grand nombre, alors que la ville souffre de graves problèmes de ravitaillement. Dans les campagnes, des colonnes armées sont envoyées pour pourchasser les insurgés vendéens. Ces «colonnes infernales» ont pour chefs des meneurs sanguinaires qui ordonnent maintes dévastations et massacres.

Cependant, la guerre continue. Des bandes vendéennes formées autour de gens de guerre contrôlent encore quelques territoires. En réaction aux massacres bleus, leur vigueur est renouvelée. Ces bandes armées se battront jusqu’en 1796. Ensuite, grâce à une politique conciliatrice des Républicains et leur volonté de négocier, il n’y aura plus de velléités insurrectionnelles sérieuses.

Jean-Clément Martin est un historien contemporain spécialiste de la question vendéenne. Il a republié en 2014 son ouvrage La guerre de Vendée. 1793-18001, à l’origine une publication grand public de sa thèse parue en 1987. Dans son ouvrage, Jean-Clément Martin revient régulièrement sur les différentes interprétations qui ont été faites de la Vendée. Pendant la guerre, les révolutionnaires ont cherché à comprendre l’insurrection sans y parvenir vraiment. Comment était-ce possible que le peuple vendéen se révolte contre sa mère la Révolution, qui lui apportait l’égalité et la liberté? Pour le conventionnel Barrère, cité par Jean-Clément Martin, la Vendée est incompréhensible. Pour les Républicains, encore aujourd’hui pour certains, les nobles et les prêtres ont fanatisé les paysans, qui ont ensuite pris les armes. A l’opposé, pour l’historiographie royaliste, la Vendée est un authentique soulèvement pour la foi et le roi. Dans tous les cas, les guerres de Vendée sont un symbole de la Contre-révolution, perçue différemment selon les camps politiques.

Quant à Jean-Clément Martin, il montre que les causes de l’insurrection sont multiples, socio-économiques, géographiques, religieuses et politiques. Il préexiste à la Révolution des tensions entre les villes et les campagnes, entre les nobles, les bourgeois, les riches propriétaires terriens et les paysans; ces oppositions ont pu déterminer les camps politiques en 1793. La religion joue un rôle important dans l’insurrection. Cependant, «la part essentielle de l’insurrection relève bien de l’initiative des ruraux eux-mêmes, qui ont gardé, là comme ailleurs, leur liberté d’allure vis-à-vis de leur clergé»2 , écrit M. Martin. En Vendée, c’est la Constitution civile du clergé de 1790, une nationalisation de l’Eglise de France, qui va être mal acceptée, ce qui va favoriser les soulèvements. La levée des trois cent mille n’est qu’un élément déclencheur. En mars 1793, les trop nombreuses tensions dans l’Ouest de la France éclatent au grand jour et cherchent un exutoire.

Jean-Clément Martin cherche la neutralité dans ses analyses, entre une vision républicaine simpliste et une interprétation royaliste empreinte de nostalgie. Pour les causes de l’insurrection, la thèse soutenue nous paraît pertinente. La pluralité des causes est bien montrée sans pour autant nier le caractère religieux et contre-révolutionnaire de l’insurrection. Mais il n’en va pas de même pour l’interprétation des dévastations et massacres commis par les révolutionnaires en Vendée entre l’automne 1793 et l’été 1794 – la terreur vendéenne.

Pour notre historien, la terreur vendéenne est une situation de chaos favorable aux pires exactions, reflet de la situation politique à Paris, où les Girondins, la Plaine, les Montagnards et les sans-culottes s’affrontent. L’Etat central est donc incapable de gérer la situation en Vendée, où les révolutionnaires extrémistes, les sans-culottes, font du zèle dans l’espoir d’augmenter leur crédit.

Jean-Clément Martin est un représentant de la mouvance néo-robespierriste, qui veut réhabiliter universellement le principal chef sous la Terreur. Cette historiographie, sous couvert de neutralité et de pondération, dédouane la Révolution et l’Etat républicain de sa responsabilité face aux horreurs commises entre 1792 et 1794. Dans cette perspective, les crimes commis en Vendée sont le fait d’individus incontrôlables laissés à eux-mêmes dans la gestion de situations difficiles. Carrier, envoyé de Paris à Nantes en 1794, n’a fait que réagir face à une situation hygiénique insoutenable et une accumulation trop importante de prisonniers.

Il n’y a pas de volonté destructrice révolutionnaire; il n’y a qu’un enchaînement impitoyable de faits dont la logique est purement mécanique; elle n’a pas pu être enrayée à temps par un Etat central fort. Sans le dire clairement, Jean-Clément Martin se bat contre la thèse qui attribue la responsabilité des atrocités révolutionnaires à l’idéologie des Lumières, porteuse de la Révolution, et à ses promoteurs.

Notes:

1 Jean-Clément Martin, La guerre de Vendée. 1793-1800, Paris, Seuil, 2014 (Point Histoire).

2 Martin, op.cit., p. 65.

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