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Cures vaudoises: un bradage inacceptable

Antoine Rochat
La Nation n° 2027 18 septembre 2015

Le 11 juillet 2015, la presse a annoncé la décision du Conseil d’Etat de mettre en vente vingt cures vaudoises. Tombée en pleine pause estivale, la nouvelle n’a guère soulevé de vagues, mais elle est suffisamment grave pour susciter notre réflexion.

Le communiqué de l’Etat de Vaud

Voici la teneur du communiqué publié par le BIC (Bureau d’information et de communication de l’Etat de Vaud):

L’Etat revisite en outre son patrimoine immobilier qu’il adapte à l’évolution de ses missions. Pascal Broulis a annoncé la mise en vente de 20 cures qui ne répondent plus aux besoins actuels de l’Eglise évangélique réformée du Canton de Vaud (EERV). Aujourd’hui vides ou occupés par des locataires sans activités liées à l’Eglise, ces bâtiments sont situés à Aigle, Arzier, Ballens, Champvent, Chesalles-Moudon, Combremont, Constantine, Cotterd-Bellerive, Denezy, Dommartin, Donneloye, Faoug, Grancy, La Chaux-Sainte-Croix, L’Abbaye, Mont-la-Ville, Peney-le-Jorat, Rances, Saint-Livres et Suchy. La mise sur le marché procédera par appel d’offres public et le produit de la vente devrait atteindre 12 à 18 mios pour le bilan de l’Etat.

Le document présenté par M. Broulis à la presse, disponible sur internet, rappelle que l’Etat a déjà mis en vente un premier lot de dix-huit cures dépourvues d’intérêt historique ou architectural, par décret du Grand Conseil d’avril 2006. La vente a permis au Canton d’encaisser un montant net de l’ordre de 15 millions de francs.

Aspects historiques

Les cures vaudoises représentent un patrimoine historique de grande valeur, mis en évidence par l’ouvrage de référence de Mme Monique Fontannaz1.

Construites pour l’essentiel par Leurs Excellences de Berne, les cures servaient – et servent encore pour l’essentiel – de logement au pasteur du village. Certaines de celles qui seraient à vendre aujourd’hui ont des bases très anciennes: citons par exemple Rances (1541), L’Abbaye (1544), Donneloye (1546) ou Faoug (1575). Elles sont en notes 2 à 4 à l’inventaire cantonal des bâtiments.

Il s’agit d’un ensemble exceptionnel, lié à l’histoire de notre Canton, souvent restauré avec un grand soin par l’Etat et qui rapporte de l’argent2. Dans la préface de l’ouvrage de Mme Fontannaz, M. Marcel Blanc, alors conseiller d’Etat, relevait la valeur de ce patrimoine:

En effet, les cures sont un héritage unique d’un moment de notre histoire, elles ont contribué à façonner l’image de notre pays. Un village vaudois sur deux ou trois possède un tel bâtiment, important, de qualité, beaucoup plus cossu que la ferme ou la simple maison d’habitation, mais plus modeste qu’une maison de maître ou que les petits châteaux construits à la même époque.3

Aspects politiques

La décision du Conseil d’Etat nous paraît maladroite, incompréhensible et inconstitutionnelle.

Maladroite, parce que prise en catimini pendant l’été, en contradiction avec les assurances données précédemment: «On ne vend que les cures sans intérêt.»

Incompréhensible, parce que M. Broulis dit que «l’Etat n’a pas pour vocation d’être un gérant immobilier»4, alors que les collectivités publiques souhaitent par ailleurs se voir attribuer un droit de préemption sur les terrains à bâtir! Une structure telle qu’une fondation d’utilité publique pourrait sans aucun doute gérer des cures.

Inconstitutionnelle, parce que l’Etat méconnaît sa responsabilité dans le domaine du maintien du patrimoine. Selon la Constitution cantonale en effet, «l’Etat conserve, protège, enrichit et promeut le patrimoine naturel et le patrimoine culturel»5.

Aspects ecclésiastiques

On n’est hélas guère étonné de la complicité du Conseil synodal de l’Eglise réformée vis-à-vis de ce bradage inacceptable. Quels en sont les motifs invoqués ou cachés? Les vingt cures en question ne sont plus utilisées actuellement par l’Eglise. Les pasteurs ne tiennent plus forcément à habiter la cure. Enfin, l’Eglise réformée dépend financièrement des subventions cantonales.

Il n’empêche: à moyen et long termes, l’Eglise pourrait retrouver une utilité pratique à ces cures aujourd’hui délaissées. Même louée à des paroissiens ou à des ministres (à la retraite, régionaux, cantonaux, etc.), la cure reste un symbole visible de l’Eglise territoriale. Les pasteurs qui changent de paroisse savent qu’ils peuvent disposer d’un logement de fonction sur place. Et que dire de l’idée saugrenue de proposer les cures pour y loger des demandeurs d’asile, notamment musulmans?

 Conclusions

A l’examen, les arguments de M. Broulis ne tiennent pas la route: les finances cantonales sont saines et ne nécessitent nullement une vente précipitée des «bijoux de famille».

La vente de vingt cures historiques a heureusement provoqué une réaction de la section vaudoise de Patrimoine suisse, qui demande un moratoire sur la décision de l’exécutif cantonal6.

Pris dans une logique purement comptable, le Conseil d’Etat fait fausse route. Il doit revenir sur sa volonté de démanteler un élément important du patrimoine historique et architectural vaudois.

Notes:

1 Monique Fontannaz, Les cures vaudoises. Histoire architecturale 1536-1798, Lausanne, 1987 (Bibliothèque historique vaudoise n° 84).

2 Fr. 560’000.– de revenu brut par an selon les informations officielles précitées.

3 Monique Fontannaz, op. cit., p. VII.

4 24 heures du 11 juillet 2015, p. 3.

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