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L’avenir de l’Eglise réformée vaudoise

Olivier DelacrétazEditorial
La Nation n° 2069 28 avril 2017

L’Eglise évangélique réformée du Canton de Vaud connaît un certain nombre de problèmes, en particulier une baisse des vocations pastorales et une diminution progressive de son enveloppe budgétaire, liée à un rééquilibrage avec l’Eglise catholique. En outre, une partie croissante – pour le moment – de la population n’a plus guère, ou plus du tout, de relations avec l’Eglise.

Dans son «Rapport non décisionnel au Synode concernant les dotations», du 4 mars 2017, le Conseil synodal propose que l’Eglise réagisse en «changeant de posture», en se tournant davantage vers l’extérieur et en consacrant une part importante de ses moyens à créer de nouveaux liens avec ceux qui ne la reconnaissent plus.

Dans le but de réorganiser ses forces, il envisage de déterritorialiser l’Eglise, de diminuer le nombre de cultes dominicaux, de réduire en proportion le nombre des églises utilisées à cette fin. Les autres églises seront utilisées pour des actions sociales et culturelles, voire abandonnées à des activités sans rapport avec leur vocation première. Il veut renforcer les compétences des régions et remplacer peu à peu les pasteurs paroissiaux par des staffs de pasteurs régionaux spécialisés. Il prévoit enfin de flexibiliser le catéchisme en le déconnectant du «carcan» du rythme scolaire.

Il affirme et répète qu’il n’envisage nullement de supprimer les paroisses. Nous en prenons acte. Il reste que les mesures envisagées amoindrissent de plusieurs manières le rôle, le sens et la substance même de la paroisse. Volens nolens, elles s’inscrivent idéalement dans la ligne dure de la réforme «Eglise à venir», qui prévoyait à l’origine de priver les paroisses de la personnalité juridique garantissant leur autonomie.

C’est commettre un abus de pouvoir à l’égard des paroissiens que de traiter leur paroisse comme un simple élément modulable d’organisation à la libre disposition du Conseil synodal et du Synode. Car les paroisses constituent une réalité communautaire qui, pour beaucoup, est essentielle dans leur vie de foi. Les cultes réguliers, avec les prières, les baptêmes, la sainte Cène et les fêtes qui rythment l’année, les activités sociales qui s’en inspirent, les liens d’estime et d’amitié qui s’y nouent, les rencontres entre générations, les relations avec les autorités communales, les collaborations avec les paroisses voisines, l’attachement matériel que maint fidèle éprouve à l’égard de tel lieu de culte, de la beauté de son architecture, des couleurs de tel vitrail, de la patine du mobilier, de telle odeur même, éveillant mille souvenirs et autant de liens imperceptibles, tout cela structure et apprivoise la pratique de la foi et la met à la portée du croyant ordinaire, ni très croyant, ni très savant, ni très héroïque. Les paroisses fonctionnent plus ou moins bien, certes, mais dans notre monde fragile et désabusé, ce qu’elles arrivent à faire, semaine après semaine, appelle toute notre reconnaissance.

Les présenter comme statiques et peu ouvertes aux non-croyants est inexact et offensant. De même, il est excessif d’affirmer dogmatiquement que la société, de «solide» qu’elle était, est devenue «liquide». Sans être fausse, l’affirmation mériterait d’être nuancée par tout ce qui reste de solide, résiste à la liquéfaction, voire reconstitue ce qui s’était défait. La société n’était pas si solide autrefois, elle n’est pas si liquide aujourd’hui. Coïncidence, on trouvera dans ce même numéro de La Nation un article de M. Jacques Perrin, Le peuple change, la mission reste, qui traite de cette même question dans le domaine politique.

Dans tous les cas, l’Eglise apporterait un contre-témoignage catastrophique en s’obligeant à devenir «liquide» à son tour. La situation actuelle lui donne au contraire l’occasion rêvée de toucher les indifférents, et peut-être même certains de ses adversaires, par l’exemple de son invariable solidité, fondée sur le roc de la Parole.

Et quel système va prendre la place de cette structure paroissiale, humanisée par un long usage et personnalisée par le ou les pasteurs responsables? Il y a tout lieu de craindre qu’il soit inspiré du new public management: technocratique sur le fond et disciplinaire dans la forme. La transformation des ministres du saint Evangile en «employés», l’importance centrale que prend l’office des ressources humaines, les conflits de travail à répétition qui entachent la réputation de l’Eglise, l’extension constante des textes réglementaires font penser que cette crainte n’est pas absurde.

Le Conseil synodal veut, selon ses propres termes, remplacer l’«Eglise de tradition» par une «Eglise de conviction». Il parle ailleurs de remplacer une «Eglise de propositions» par une «Eglise de liens». Entendez: remplacer une Eglise qui ouvre certes la porte, mais reste à l’intérieur, par une Eglise qui se porte au-delà d’elle-même, à la rencontre des non-croyants, sans crainte de recourir à leurs références plutôt qu’aux siennes.

On nous présente comme une évidence la caducité de l’Eglise traditionnelle, axée sur la stabilité, les rites, la transmission du savoir, la régularité des cultes et des fêtes, la fidélité et la mémoire. Pour la remplacer, on prône, comme une autre évidence, une Eglise hors-sol, ouverte au monde et attentive aux «changements de paradigmes», propre à nous libérer des contraintes de la routine, qui valorise les accroches événementielles et prône la «créativité» en lieu et place de la rigueur obsolète du dogme.

Cette vieille opposition entre l’institutionnel et l’existentiel est un non-sens. Elle est mortifère non seulement pour les paroisses, mais pour l’Eglise tout entière. Car la tradition, collective et durable, et la conviction, qui est individuelle, ont intimement besoin l’une de l’autre. La conviction ne peut se former et se maintenir qu’en s’appuyant constamment sur la tradition, qui l’inspire et la nourrit.

Inversement, la conviction, si ce mot désigne bien la foi assumée et agissante, réchauffe la tradition. Elle l’anime, l’enrichit des nouvelles expériences bonnes ou mauvaises. C’est elle qui donne au croyant l’envie et la force de continuer à transmettre ce qu’il a reçu.

Et comment prier, et surtout prier ensemble, s’il n’existe pas de tradition liturgique? Comment enseigner les enfants, les jeunes – et les autres – sans disposer d’un ensemble d’affirmations stables, c’est-à-dire traditionnel, pour le transmettre aussi fidèlement que possible? Et comment comprendre les Ecritures sans se référer à deux mille années de tradition exégétique?

La tradition nous protège aussi contre nous-mêmes. En l’enracinant dans le temps long, elle soustrait la réflexion théologique aux effets de la mode philosophique ou éthique du moment. Privés de cet équilibrage, le théologien, mais aussi le simple croyant, sont presque inévitablement condamnés à se plier à l’idéologie dominante.

Cette idéologie est aujourd’hui individualiste, hédoniste et technicienne. Elle ne prépare pas vraiment à recevoir l’idée d’une communauté surnaturelle fondée sur l’incarnation, la mort et la résurrection du Fils, vrai homme et vrai Dieu. Il n’empêche que si l’on veut créer un «lien» vrai avec les indifférents et les non-croyants, il faut commencer par s’identifier et faire connaître nos «propositions». Et les propositions de l’Eglise, même dans une société liquide, c’est d’abord la proclamation sans équivoque des formules les plus dérangeantes de la foi chrétienne, les plus folles aux yeux des hommes, celles du Décalogue, du sommaire de la loi, du sermon sur la montagne et des grands symboles de la foi. A ne pas proclamer d’emblée ces faits centraux sous prétexte de nouer davantage de liens, la prédication chrétienne se fait mensongère et manipulatrice. Il faut courir le risque de se faire dire: «Nous t’entendrons là-dessus une autre fois.»

On ne peut tout dire dans un seul article. Mentionnons juste, pour le déplorer, le fait qu’on n’envisage jamais l’idée d’un traitement différencié selon les paroisses. Nous pensons en particulier aux paroisses de Lausanne, qui souffrent de problèmes spécifiques1 que ne connaissent pas les autres paroisses et qu’il convient donc de traiter à part.

En ce qui concerne la relève pastorale, nous regrettons sincèrement le blocage du Conseil synodal à l’égard de la Haute école de théologie. Il serait possible, pourtant, d’y trouver des jeunes pasteurs bien formés, désireux de s’engager et fort éloignés des caricatures commodes que certains se font des milieux évangéliques.

Le Rapport n’évoque pas non plus la possibilité de confier à de simples paroissiens, formés à cette fonction, la responsabilité de présider des offices (je ne parle pas de cultes) en l’absence d’un pasteur consacré.

La Nation reviendra sur ces points et sur quelques autres dans ses prochaines livraisons. En attendant, posons-nous tout de même une question fondamentale: au fond, de quoi parlons-nous? En d’autres termes, quel est le projet? Car si l’on sait, en gros, ce qu’on va démolir, ce qu’on va abandonner, ce qu’on va vendre, on continue d’ignorer ce que seront, concrètement, sur le terrain, la nouvelle «posture», les nouveaux «liens», les nouvelles «convictions».

Notes:

1  Sur ce point, nous avons lu avec intérêt les critiques et propositions du pasteur Jean-François Ramelet: «Projet 2017, Vers une Eglise fraternelle, audacieuse et rayonnante à Lausanne».

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