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La désignation des juges fédéraux

Jean-François Cavin
La Nation n° 2186 22 octobre 2021

Au siècle passé, un des meilleurs présidents de tribunal de district n’a jamais été élu juge cantonal, car il refusait catégoriquement de s’affilier à un parti. M. Regamey s’en indignait et a proposé que les juges cantonaux soient élus sur présentation d’une commission composée de notables du monde juridique. Il n’a pas été entièrement écouté, mais il en est resté quelque chose puisqu’une Commission de présentation a effectivement été créée, ce qui évite des choix dictés exclusivement par les faveurs partisanes; mais on reste au tiers du chemin, car neuf membres sur treize sont des députés. Ce rappel dit bien que l’indépendance de la justice est un de nos soins constants.

L’initiative fédérale pour la désignation des juges fédéraux par tirage au sort s’inspire d’un même souci. Précisons que, les postes ayant été mis au concours publiquement, une commission spécialisée déciderait de l’admission des candidatures au tirage au sort, en fonction des aptitudes professionnelles et personnelles des postulants. Les commissaires seraient nommés par le Conseil fédéral pour un mandat unique de douze ans; ils seraient indépendants des autorités politiques et des partis dans l’exercice de leur mission.

Le Conseil fédéral, suivi par le Parlement, s’y oppose. Le choix des juges n’aurait pas de «légitimité démocratique»; mais est-ce bien nécessaire pour un tribunal? Il dépendrait de la chance et non de l’aptitude; mais aujourd’hui, il dépend d’abord de l’appartenance partisane, nullement garante de la qualité d’un jurisconsulte. Le système actuel aurait fait ses preuves; surtout du point de vue des partis, répond le comité d’initiative! Le procédé serait «exotique», prétend Mme Keller-Sutter; mais divers cantons et villes ont connu le choix de certains magistrats par tirage au sort sous l’ancien régime – sans parler de l’Athènes antique et de Venise ou Gênes: Berne, Fribourg, Schwytz, Glaris, Schaffhouse, Zoug, Yverdon, Lausanne, Morges, Vevey, Lutry, il est vrai sous des formes qui combinaient le suffrage et le hasard.

Un argument plus sérieux est que le tirage au sort ne permet pas d’assurer une représentation équilibrée des sexes et des cantons. Nous sommes sensibles à cette critique, surtout bien sûr quant à l’appartenance cantonale des juges. Il faut voir toutefois qu’aujourd’hui, aucune règle écrite n’en traite et que la présentation des candidatures à l’Assemblée fédérale est le fait des groupes politiques, et non des députations cantonales; au reste, l’initiative impose que «les langues officielles soient équitablement représentées au Tribunal fédéral», ce qui favorise une certaine répartition territoriale.

Les juges fédéraux, selon un usage général, sont aujourd’hui tenus de verser une partie de leur traitement à leur parti. Cette pratique hideuse symbolise bien leur assujettissement à une faction. Et les partis considèrent peu ou prou la Cour suprême non comme une source du droit, mais comme une source de financement. Une interdiction légale de cette «dîme» (suggérée ici ou là, mais que les partis n’accepteront jamais…) serait vite contournée par des libéralités indirectes. Le tirage au sort, encadré comme l’initiative le propose, est le moyen le plus radical – et peut-être le seul efficace – de mettre fin au mélange déshonorant de la justice et de la caisse des partis, tout en ouvrant la magistrature judiciaire suprême à des personnalités indépendantes. Nous recommandons donc – non sans hésitation – d’accepter l’initiative.

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