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La théorie de l’assimilation

Olivier Delacrétaz
La Nation n° 2216 16 décembre 2022

L’assimilation de l’étranger est possible parce que la communauté nationale n’est pas une réalité imperméable1. Elle vit, réagit, échange avec l’extérieur. Ce qui la définit, ce sont les caractéristiques collectives qu’elle a développées au cours de son histoire. La durée, la complexité et la profondeur du processus rendent ces caractéristiques extrêmement résistantes au temps.

Pour autant, l’histoire vaudoise n’est pas terminée. Elle continue de se faire, aujourd’hui et demain. Et la communauté politique continue de réagir aux événements et, tant bien que mal, de les faire siens. L’assimilation de l’étranger est l’un des aspects de cette réaction positive.

Exemple tout récent de volonté assimilatrice, un établissement scolaire de Reinach, 800 jeunes élèves dont un tiers d’Albanais, impose désormais l’usage exclusif de l’allemand en classe et dans le préau2. La décision n’a pas, semble-t-il, soulevé d’indignation chez les élèves ou leurs parents.

Assimiler, nous dira-t-on, c’est dénier à l’étranger le droit de rester lui-même. C’est la question: est-ce qu’on reste soi-même en étant durablement inassimilé? Le documentaire de cinquante minutes No apologies, sorti en 2019, répond d’une façon intéressante. Ce film est un coup de projecteur sur la vie de quelques Africains qui demeurent – qui campent – depuis quinze ans dans les marges de la société lausannoise sans s’y être assimilés. L’un d’entre eux est brièvement retourné dans son pays d’origine, pour se rendre compte qu’il s’y sentait à peu près aussi étranger qu’ici. Il végète ainsi, avec ses amis, dans l’impasse d’un double exil.

Assimiler, c’est, très précisément, casser cet exil, offrir un terreau nouveau à l’individu déraciné. Il peut y repiquer ses racines qui, pour l’heure, sèchent à l’air, privées de la sustentation communautaire indispensable.

L’assimilation procède d’un double effort et apporte un double gain. En même temps que la communauté l’assimile, renforçant ainsi son unité, l’étranger s’approprie les caractéristiques nationales. On pourrait parler d’une digestion réciproque inégale, lente, familiale plutôt qu’individuelle, qui peut durer plusieurs générations.

L’assimilation n’impose pas un moule unique. La nation n’est pas le milieu de l’alignement et de la pensée standardisée. C’est le lieu où vivent mille sortes de Vaudois, qui appartiennent tous, chacun à sa manière, à la même communauté historique. Cela signifie que, pour l’étranger, sa personnalité, ses souvenirs, ses liens avec son pays d’origine ne sont pas éradiqués, ils sont vus d’un autre centre. Nous connaissons des Vaudois qui ont conservé très vivants des liens avec la famille et la région italiennes d’où ils sont arrivés il y a fort longtemps.

Ajoutons enfin que, comme dans toute forme d’assimilation, le corps assimilant se modifie lui-même en reprenant, certes à sa manière, des éléments du corps qu’il assimile.

Ce sont probablement les communautés religieuses qui opposent le plus de résistance à l’assimilation. Le rabbin Eliezer Shai Di Martino parle, à propos de la communauté juive de Lausanne, d’«une intégration sans assimilation.»3 Peut-être est-ce la Terre promise, seconde ou première patrie, qui empêche une pleine assimilation.

Mais on nous a parlé de migrants juifs, arrivés au XVIIe siècle en Argovie, qui sont devenus de parfaits Suisses alémaniques, tout en conservant leur religion, ainsi que des patronymes indubitablement juifs. Dira-t-on qu’ils ne sont qu’intégrés? Cela serait manifestement réducteur.

En réalité l’intégration et l’assimilation se compénètrent partiellement. Nous dirions qu’est intégré celui qui a trouvé sa place dans la communauté d’accueil, qui en connaît les codes sociaux et les pratique, mais conserve son quant-à-soi. Et nous dirions qu’est assimilée la personne ou la famille qui dit «nous» en parlant des Vaudois. Maint Juif que nous connaissons utilise le «nous» vaudois dans la plupart des situations.

Pour ce qui est de l’islam, cette religion manifeste son énergie conquérante, ici et maintenant, sur les plans vestimentaire, alimentaire et scolaire. Mais l’arrivée continuelle de nouveaux migrants modifie constamment la donne. En Angleterre, des conseils de la charia traitent toutes sortes de conflits entre musulmans, notamment matrimoniaux. Leurs décisions, certes sans force légale, s’imposent moralement à ceux qui les consultent. Le droit suivant les mœurs, on introduit ainsi par la petite porte des mœurs judiciaires contraires aux usages du pays.

Cela réduit de part et d’autre le désir d’assimilation.

Pour rester dans le registre organique, la population d’accueil ne peut assimiler qu’à un certain rythme, au-delà duquel il y a indigestion. L’indigestion se manifeste notamment par l’apparition de zones territoriales ethniques qui tendent à l’autonomie.

Or, qu’il s’agisse de demandeurs d’asile, de migrants divers, d’expats économiques ou religieux, de permis de séjour et de travail, le flux des nouveaux arrivants dépasse nos capacités d’assimilation sur les plans de la culture, des infrastructures urbanistiques, routières, sanitaires et scolaires. Même l’intégration se réduit à une coexistence indifférente ou soupçonneuse. Que peut-on y faire? La réponse serait, dans un premier temps, de contenir les flux migratoires et de laisser au corps social le temps d’absorber les nouveaux venus. Ce n’est pas la direction que nous prenons.

L’initiative de l’UDC «contre l’immigration de masse» allait dans ce sens. Acceptée par le peuple et les cantons, elle a été réduite à rien par des Chambres félonnes, au double nom de l’économie et de la morale. Le fait est qu’aujourd’hui, les Etats européens semblent indifférents à leur souveraineté, à la protection de leurs frontières et à la survie de leur civilisation.

Nous, je veux dire la Ligue vaudoise, ne pouvons agir réellement que dans le cadre et avec les moyens que la réalité nous laisse pour défendre et illustrer le Pays de Vaud. Ce n’est pas toujours enthousiasmant. Il faut travailler énormément pour des résultats souvent bien minces.

Il reste que l’assimilation, expression, de part et d’autre, de la nature communautaire de l’homme, demeure un objectif pertinent, même pour un pays d’accueil qui voit s’affaiblir à la fois ses forces assimilatrices et sa volonté de résister.

Notes:

1   Philibert Muret parlait des frontières comme d’une peau, qui protège, mais respire.

2   Gabriel Sassoon, 24 heures du 12 décembre 2022, «Dans ce village, l’italien et l’albanais sont bannis du préau».

3   Chloé Din, 24 heures du 29 décembre 2021, «Le judaïsme vaudois est une mosaïque de traditions».

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