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L’étatisme libéral

Olivier DelacrétazEditorial
La Nation n° 2035 8 janvier 2016

Le libéral plaide pour la liberté individuelle et la propriété privée. Il restreint le rôle de l’Etat à ses tâches politiques fondamentales, l’ordre, la police, la justice, l’armée et la politique étrangère.

Face à lui, le socialiste et ses semblables plaident pour la propriété collective, la planification administrative et la redistribution des richesses par l’impôt. L’intervention contraignante de l’Etat est au cœur de leur conception de la vie sociale.

Mais s’il est justifié d’attribuer à la gauche un étatisme de principe, cela ne doit pas nous empêcher de constater que le libéralisme participe lui aussi, et de plusieurs manières, au passage progressif des familles, des entreprises et des communes sous le contrôle des administrations publiques.

Le libéralisme met en cause non seulement l’Etat qui déborde de ses compétences, mais aussi l’ordre social, dans la mesure où ses règles et usages entravent le libre jeu des forces du marché1 : les cartels, qui limitent la concurrence; les accords syndicaux, qui réduisent la liberté d’embauche et de licenciement; les associations professionnelles, qui restreignent le libre exercice des métiers qu’elles représentent; les règles déontologiques, qui compliquent inutilement la pratique; les frontières politiques, enfin, qui engendrent un protectionnisme débilitant.

Or, c’est un fait d’expérience que la suppression, même très partielle, de l’une ou l’autre de ces composantes de l’ordre social crée un déséquilibre qui appelle l’intervention protectrice de l’Etat. Ainsi, l’ouverture, d’inspiration libérale, des frontières suisses aux produits agricoles du monde entier soumet nos paysans à une concurrence impossible à soutenir, ce qui entraîne soit leur disparition à terme soit le système étatiste des paiements directs. C’est l’effet étatisant indirect du libéralisme.

Les accords sur les prix, la protection des entreprises locales ou régionales, les subventions à la production et à l’exportation sont autant de procédés contraires au principe du marché libre. La Commission de la concurrence (COMCO), organisme à la fois étatique et indépendant, a reçu le pouvoir d’intervenir dans le jeu économique, d’interdire certains procédés commerciaux, de contraindre les entreprises à se soumettre aux règles du marché et de les sanctionner si elles s’y refusent.

Il semble que le triomphe du marché libre et sans frontières ne soit pas possible sans une intervention accrue de l’Etat. C’est l’effet étatisant direct du libéralisme.

L’idée que le balancier électoral rétablit l’équilibre à la longue en donnant la majorité tantôt à la gauche tantôt à la droite n’est que très partiellement pertinente. Voter pour des candidats «de droite» permet sans doute de freiner et parfois de bloquer provisoirement telle tendance étatisante. Mais n’attendons pas que cela nous permette de remonter le courant!

Et on va d’autant moins remonter le courant qu’on s’habitue: les libéraux d’aujourd’hui acceptent comme allant de soi des interventions étatiques qui faisaient grimper les murs à leurs aînés.

Craignons bien plutôt que, parvenu au législatif ou à l’exécutif, l’élu libéral ne lutte pour étendre la liberté du marché au détriment de ce qui reste de l’ordre social.

Balancier ou non, l’Etat ne rend jamais ce qu’il a reçu. Tout ce qu’il absorbe accroît sa puissance d’absorption et de rétention. Et il arrive un moment où sa puissance et son omniprésence sont telles qu’il en devient, comme on dit, incontournable. En France, par exemple, même les plus fervents réactionnaires, les aristocrates nostalgiques de l’ordre ancien, les «tradis» tenants de la doctrine sociale de l’Eglise, sans parler du PCD de Mme Boutin, de l’UDI, du MoDem ou du fourre-tout des Républicains, sont étatistes. Tous attendent tout de l’Etat et ne divergent que sur l’ordre des priorités. Le Front national n’est pas moins étatiste. La seule différence, c’est qu’il l’est sur le plan national.

La Suisse n’en est pas encore là, mais elle y vient. Et quand le libéral Fathi Derder demande une loi fédérale sur l’innovation, il plaide bel et bien pour une étatisation au nom de la libre création d’entreprises.

Si on prend un peu de distance, on voit que le libéralisme anti-étatiste et le socialisme étatiste ne jouent pas sur le même terrain. Au contraire du premier, sans cesse à contre-courant, le second est porté par un mouvement de fond naturel à l’idéologie égalitaire et qui s’impose bien au-delà du parti socialiste. Au vrai, la tendance à l’étatisme de la démocratie moderne est aussi constante et universelle que la force de la pesanteur. Elle emporte les libéraux eux-mêmes et en fait des acteurs intermittents de sa navrante progression.

Notes:

1 Il existe, on le sait, une tendance libérale modérée attachée par tradition à l’ordre social. Nous avons souvent travaillé main dans la main. Elle est en voie de disparition et le libéralisme mondialisant qui lui a succédé a rompu cet attachement.

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