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La politique étrangère de la troisième République sous le regard critique de Jacques Bainville

Jean-François Poudret
La Nation n° 1917 17 juin 2011
L’oeuvre de Jacques Bainville (1879- 1936), qui vient d’être partiellement rééditée dans la collection «Bouquins», est à la fois considérable et diverse: à côté de plus de trois mille articles parus pour la plupart dans l’Action française, elle comporte des ouvrages littéraires, historiques – dont son Louis II de Bavière et son Histoire de France, maintes fois rééditée – et politiques, notamment Les conséquences politiques de la paix et L’histoire de deux peuples continuée jusqu’à Hitler. Aussi faut-il faire un choix entre ces divers aspects de la pensée bainvillienne si l’on veut maîtriser celle-ci. C’est ce qu’a fait l’historien Christophe Dickès en consacrant près de dix ans à un aspect certes essentiel de l’oeuvre de Jacques Bainville: les lois de la politique étrangère1. Le sous-titre indique que la politique étrangère obéit à des lois, c’est à dire à certains principes objectifs et non à l’idéologie du moment. Tel est encore le cas aujourd’hui, alors même que les lois de l’économie se sont grandement substituées à celles de la politique.

La troisième République française, dont Bainville a vécu la plus grande part et à laquelle il a consacré un ouvrage en 1935, est un terrain particulièrement fertile pour mener cette démonstration, avec trois guerres – 1870, 1914 et 1939 –, de nombreux autres conflits entre la France et l’Allemagne (notamment la menace d’Agadir en 1911, le Traité de Versailles en 1919, l’occupation de la Ruhr, 1923-1930), sans compter la Révolution bolchévique de 1917, au lendemain de la mission effectuée par Bainville auprès de l’allié russe, ou les revirements de la politique italienne. Ce sont là quelques exemples d’une période riche en rebondissements qui mettent à rude épreuve la politique étrangère de la France.

Bainville assigne à celle-ci un double objectif. Avant tout rétablir et assurer la grandeur de la France, humiliée par la défaite de 1870 et les nombreux incidents évoqués plus haut, minée par l’instabilité du régime démocratique, en particulier obtenir des garanties suffisantes de la part de l’Allemagne. En outre, assurer l’équilibre européen, surtout éviter le démembrement de l’Empire austro-hongrois, qui constitue un facteur de stabilité en Europe centrale. Cette vision réaliste de la politique européenne se heurte malheureusement à la vision idéologique du président Wilson, qui impose dans le Traité de Versailles de 1919 un morcellement de l’Europe centrale dont les méfaits se sont fait sentir jusque récemment.

Bainville connaît bien l’Allemagne, sa langue et son histoire pour y avoir fait plusieurs séjours comme adolescent. L’historien reproche à Napoléon – sur lequel il a écrit un ouvrage remarquable, traduit notamment en allemand – d’avoir mis fin aux traités de Westphalie de 1648, traités qui morcelaient l’Allemagne en petits Etats souverains, tandis que la Diète devenait l’expression même de l’anarchie allemande et de son absence d’unité. Si le Traité de Vienne de 1815 avait provisoirement assuré un certain équilibre entre les grandes puissances, y compris la France, cet équilibre a été rompu, notamment par la victoire de l’Allemagne sur l’Autriche à Sadowa en 1866, puis par sa victoire sur la France en 1870.

La Prusse ayant ainsi acquis une position dominante en Europe, il était impératif de rétablir l’équilibre et la victoire de 1918 en fournissait l’occasion. or, loin de là, le Traité de Saint-Germain- en-Laye de 1919 démembrait l’Autriche-Hongrie et créait plusieurs petits Etats dont l’Allemagne ne ferait qu’une bouchée. Avant même le début de la guerre de 1914, Bainville avait prévu que celle-ci souderait encore davantage le peuple allemand et que celui-ci évoluerait vers le national-socialisme.

En 1915 déjà, Bainville apprend que les Alliés envisagent de démembrer l’Empire austro-hongrois. Dépité, il combat cette idée en soulignant que l’Autriche est un élément modérateur et fédérateur au coeur de l’Europe et que son affaiblissement ne pourrait que renforcer l’Allemagne. L’Autriche peut d’autant mieux assumer ce rôle qu’elle est un Etat et non pas une nation, distinction qui n’échappera pas aux lecteurs de ce journal! A la fin de la guerre, des pourparlers secrets sont engagés en vue d’une paix séparée avec l’Autriche, mais ils échouent notamment ensuite du refus de l’Italie qui avait rejoint entretemps l’Entente. L’équilibre européen s’en trouve largement fragilisé.

En garantie du paiement de la dette de guerre de l’Allemagne, la France avait obtenu le droit d’occuper la Ruhr et la rive gauche du Rhin. or, en 1924, sous la pression de Londres, elle renonce à exercer cette garantie, qui constituait aux yeux de Bainville son arme principale. Plus généralement, le prénommé reproche aux anglo-saxons et au Cartel des gauches, qui emportent les élections de 1924, de favoriser le redressement de l’Allemagne au lieu de la maintenir dans un état anarchique qui protège la France. Cette politique de tolérance est couronnée par l’entrée de l’Allemagne à la Société des Nations en 1926.

En revanche, l’avènement du fascisme ne semble guère inquiéter Bainville, qui y voit avant tout la faillite de la démocratie au profit d’un régime autoritaire. Tel est d’ailleurs aussi le cas à cette époque dans de nombreux Etats européens, du Portugal avec Salazar à l’Allemagne avec l’avènement d’Hitler en 1933. Dickès se demande quelle aurait été l’opinion de Bainville s’il avait survécu jusqu’à l’avènement du Maréchal Pétain. Il l’aurait probablement considéré comme une réaction de droite à la décadence du régime démocratique. D’ailleurs, dans un article de 1935, Bainville avait déjà prédit la mort de la troisième République.

En conclusion, Bainville s’est montré plus critique à l’égard de la démocratie en général que de la troisième République en particulier et des hommes politiques qui ont gouverné celle-ci. Il était d’ailleurs en bons termes avec plusieurs d’entre eux, qui n’en suivirent pas pour autant ses avis. Sa réception à l’Académie française en 1935 illustre la place honorable qui lui était réservée nonobstant ses critiques et, en particulier, ses liens avec l’Action française.

L’extraordinaire lucidité de Bainville lui a permis non seulement de saisir, mais souvent de prédire des événements tels l’Anschluss, l’invasion de la Tchécoslovaquie, l’Alliance germano-italienne, puis germano-soviétique, la conquête de la Pologne et la Seconde Guerre mondiale. Il est dès lors un guide remarquable pour comprendre cette tranche de l’histoire européenne, alors même que l’ouvrage de Dickès ne bénéficie malheureusement pas toujours de la clarté des écrits qu’il commente.

 

NOTES:

1 Christophe Dickès, Jacques Bainville Les lois de la politique étrangère, 2008, Bernard Giovanangelli Editeur, 312 p.

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