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Olivier DelacrétazEditorial
La Nation n° 1954 16 novembre 2012

Se référer à des textes bibliques précis et à leur interprétation courante suffit, aujourd’hui, pour s’attirer une réputation d’esprit étroit, sectaire, voire fanatique. C’est peut-être une conséquence de cette théologie de la déconstruction des Ecritures que nous avons vue, durant des décennies, diluer, assécher, émietter chaque livre, chaque verset et chaque mot de la Bible. C’est peut-être aussi dû au fait qu’une exégèse rigoureuse conduirait à devoir se montrer en très grand désaccord avec les idées du «monde d’aujourd’hui».

Quoi qu’il en soit, personne n’aime avoir l’air étroit, sectaire ou fanatique, en particulier dans les milieux d’Eglise. C’est ainsi qu’un membre du Synode opposé à la bénédiction des couples au bénéfice d’un partenariat enregistré a consciemment évité d’invoquer les textes traitant du mariage de l’homme et de la femme, sans même parler de ceux consacrés à l’homosexualité, pour éviter le risque de ridiculiser sa position. C’était pourtant un risque à courir, car la Parole est plus forte que les moqueries et la réprobation des savants. Mais c’est sûr qu’il y aurait eu des bouches pincées et des sourires suffisants.

Rejetant les textes trop précis et leurs interprétations traditionnelles, on a pris l’habitude plus confortable de se référer à l’«amour inconditionnel du Christ»! Cet «amour inconditionnel» apparaît comme une vague molle et visqueuse noyant les exigences du Christ, les institutions qui les expriment, les dogmes qui les formulent et les traditions qui les maintiennent.

Tout n’est que désir fusionnel éperdu, esquive des conflits et refus de l’argumentation.

Il est trop facile de reprocher automatiquement à celui qui veut respecter les textes de ne pas aimer les autres. Le Christ affirme certes l’importance première de la fidélité, de la miséricorde et de la justice1. Mais il ajoute qu’il faut les pratiquer sans négliger les autres choses. Et ces autres choses, ce sont précisément les textes, la loi. Il n’a pas rejeté la loi, pas un seul iota, il lui a simplement redonné sa juste place, qui est de l’ordre des moyens. L’amour du Christ n’abolit rien, il accomplit.

La notion d’«amour inconditionnel» joue ici frauduleusement le Christ contre les Ecritures!

La netteté étonnante du vote final du Synode s’explique d’abord par le fait que les théologiens favorables à la bénédiction ont pesé de toute leur autorité sur les votants, lesquels professent, en bons Vaudois, une admiration bien excessive pour les licences et les doctorats.

Les partisans ont sans doute profité aussi de l’équivoque régnant sur la formule «entrée en matière», qui signifie pour les uns qu’ils sont disposés à discuter et, pour les autres, qu’en la votant ils acceptent le principe et qu’on ne discutera que des modalités.

Enfin, pas mal d’opposants ont été leurrés par la perspective «moyenne» d’un acte liturgique propre aux couples homosexuels et qui ne serait pas une bénédiction. Se plaçant dans l’optique d’une défaite inéluctable, ils ont jugé que cette distinction était le mieux qu’ils pourraient obtenir. Et ils ont jugé habile de voter le texte final! Habileté dérisoire: on était au bord du gouffre et on se félicite de n’avoir fait qu’un demi-pas en avant!

Du point de vue de la symbolique chrétienne du mariage, essentiel dans cette affaire, la distinction entre la bénédiction et le rite-qui-n’est-pas-une-bénédiction est totalement insuffisante et d’ailleurs inutilisable. Imagine-t-on le pasteur dire en introduction: «Attention, l’acte liturgique auquel nous allons procéder n’est pas une bénédiction…»? On en viendra rapidement à un rite qui se rapprochera tellement d’une bénédiction qu’il en sera une aux yeux de tous. Les fausses distinctions calment les mauvaises consciences et brouillent les problèmes.

Les partisans se sont félicités publiquement de leur victoire, sans beaucoup d’égards pour les opposants. Mme Esther Gaillard, présidente du conseil synodal, se déclare «fière de son Eglise». Son vice-président Xavier Paillard pavoise: «En connaissez-vous beaucoup d’assemblées publiques capables de débattre comme nous l’avons fait d’un sujet aussi sensible?» on nous accordera que, s’il est en général préférable de débattre sans crier ni claquer la porte, la sérénité des débats ne légitime pas en elle-même la décision finale. En outre, sachant que les paroisses n’ont même pas été consultées sur cette question fondamentale – on les savait fortement opposées! –, nous trouvons assez déplacées ces vantardises sur les capacités de dialogue de nos autorités ecclésiastiques2.

A la RTS, la conseillère synodale Line Dépraz, heureuse et fière elle aussi, minimise l’impact négatif de la décision: «Toute décision amène son lot de personnes contentes et de personnes déçues.» et Mme Gaillard renchérit dans 24 heures: «Nous vivons cela sereinement et espérons que les choses vont se calmer. […] Si le Synode avait pris la décision inverse, d’autres mécontentements se seraient exprimés.»

Déception? Mécontentement?… On est loin du compte. Peut-on se contenter de dire qu’il était «déçu», l’ancien pasteur Philippe Decorvet qui a publié une lettre poignante pour annoncer sa sortie de l’Eglise réformée vaudoise? Vont-ils «se calmer», ces pasteurs qui ont écrit au Conseil synodal pour lui faire part de leur désapprobation de fond? Sont-ils simplement «mécontents», ces réformés œcuméniques qui voient l’Eglise évangélique réformée vaudoise s’éloigner un peu plus de la communion avec les autres Eglises?

Consternation, chagrin, sentiment de trahison et d’abandon, révolte seraient des termes plus appropriés. Les commentaires feutrés et lénifiants des autorités ecclésiastiques relèvent de la pure langue de bois. A titre personnel, nous pouvons évoquer ces groupes de fidèles exaspérés discutant interminablement à la sortie du culte, témoigner aussi de l’incompréhension navrée de nos amis évangéliques et catholiques. La vox populi n’a pas été mieux entendue que la vox Dei.

La scission n’est pas la seule menace, ni la plus probable, même si l’on doit s’attendre au départ vers les assemblées évangéliques d’un certain nombre de fidèles engagés. Notre crainte est plutôt celle d’une indifférence croissante à l’égard d’une Eglise trop semblable au monde.

Le temps des assemblées paroissiales arrive. Plus d’un fidèle s’apprête à demander une intervention de sa paroisse auprès du Synode pour lui manifester sa désapprobation. Nous entendons bien le faire dans la nôtre. C’est dire que Mme Gaillard risque d’espérer encore longtemps que les choses se calment.

Le Synode ne se rendait probablement pas compte que sa décision, qu’il jugeait consensuelle, ébranlerait en profondeur l’Eglise évangélique réformée du Canton de Vaud. Cela ne diminue en rien sa responsabilité à l’égard de ce qui se passe aujourd’hui et de ce qui se passera demain. Nous croyons qu’il devrait revenir sur la question à la lumière des réactions constatées, peser les risques que nous sommes en train de courir et, quoi qu’il pense sur le fond, avoir le courage et l’humilité de revenir sur son vote.

Notes:

1 Matth. 23:23.

2 Cet article était mis en page quand nous avons pris connaissance du communiqué teigneux du Conseil synodal rappelant à tout le monde qui était le chef et priant les fidèles mécontents de la boucler.

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