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Démocratie directe - Evitons le piège que l’on dénonce

Félicien Monnier
La Nation n° 2043 29 avril 2016

Récemment, M. Donald Trump évoquait la taille de ses attributs virils sur Fox News. On peut se moquer de lui. Mais que dire de M. le conseiller national Martin Landolt transformant en croix nazie la croix fédérale en gare de Zurich? Cet incident n’est qu’un symptôme du mal dont souffre notre démocratie directe: l’alliance du parlementarisme et du sensationnalisme cathartique.

Un problème mental

L’usage du droit d’initiative a atteint un paroxysme de post-modernité. Le monde politique est sommé de répondre avec une force et une rapidité exemplaires à ce qui est perçu individuellement comme un déséquilibre ou une injustice. Ce sentiment individuel d’injustice devient la grille de lecture de l’ensemble du système institutionnel. Le recours à l’initiative actualise ce sentiment. Dans cette conception, l’ordre juridique gagne les preuves de sa moralité générale par la façon qu’il a de traiter les étrangers criminels, les propriétaires d’armes à feu ou les pédophiles.

Il en ressort une tendance, assez partagée sur l’échiquier politique, à tailler dans le vif. En 2011, dans un élan hollywoodien, socialistes et GSsA voulaient inscrire dans la Constitution fédérale le «fusil à pompe» en archétype de l’arme à proscrire. «Ecopop», malthusienne à tendance éco-totalitaire, voulait limiter croissances démographique et économique et encourager le tiers-monde au planning familial.

Le mouvement Marche Blanche obtenait en 2008 devant le peuple et les cantons l’imprescriptibilité des actes de pédophilie. Il élevait, du point de vue de la prescription de l’action pénale, cette infraction au niveau du génocide et des crimes contre l’humanité.

Enfin, récemment, l’UDC, arguant notamment des scandaleux mécanismes de Via sicura, exigeait l’expulsion automatique des délinquants étrangers.

A chaque fois, le combat est rude. Les partisans s’insultent. Le soir du vote, les perdants se sentent trahis. Leur désarroi, toujours vécu individuellement, est pathétique. La ridicule «honte d’être suisse» des lendemains de victoire de l’UDC n’est rien d’autre; de même, des officiers menaçant théâtralement de «ne pas rendre les armes» en cas de victoire du GSsA.

Des abus qui divisent

A plusieurs reprises, la Ligue vaudoise s’est trouvée en porte-à-faux avec certains de ses proches. Ils identifiaient des problèmes réels. L’islamisation et les minarets, ou les délinquants étrangers et les deux initiatives pour leur renvoi, ont pu être autant d’objets de débats, parfois d’incompréhension. Si le débat intellectuel ne doit pas souffrir de problèmes de loyauté, la contradiction doctrinale ne doit pas empêcher l’amitié politique. En revanche, l’amitié politique entre les citoyens - l’unité de la Confédération? -  ne devrait pas pâtir du mésusage des outils institutionnels.

Car c’est bien l’unité de la patrie que menace l’usage abusif actuel de la démocratie directe, de l’initiative constitutionnelle en particulier. Cette unité n’est pas faite que de relations humaines. Pour nous, les institutions doivent coller à la réalité organique nationale. Celles-ci interagissent et s’influencent réciproquement. Aucune n’est l’œuf. Aucune n’est la poule. Il s’établit une adéquation entre cohérence des institutions et unité nationale. Il y a quelque chose d’amoral sinon de révolutionnaire  ce qui est aussi amoral  à froisser la dentelle institutionnelle par des coups de pied. Si le désordre peut s’installer très rapidement, la renaissance est un lent processus.

Trop souvent, les partis sont complices de ces coups de pied. L’initiative est devenue un outil électoral comme un autre. Le phénomène est récent; en témoigne la soudaine explosion, depuis une douzaine d’années, du nombre d’initiatives lancées et acceptées. Nous n’expliquons cela que difficilement, ne nous contentant pas d’invoquer les technologies de l’information. Les signatures se font toujours sur du papier. Leurs feuilles doivent toujours être comptées.

Le nombre de signatures

Malgré la persistance de ces difficultés logistiques, certains proposent d’augmenter le nombre de signatures requises. Cette idée est mauvaise à plusieurs titres. Elle oublie que des initiatives parmi les plus critiquables ont été acceptées en votation. Qu’elles eussent nécessité plus de signatures que les cent mille actuelles n’y aurait rien changé, au contraire.

En réalité, la conséquence directe d’une augmentation du nombre de signatures serait de réserver l’accès à la démocratie directe aux partis. Seuls eux, les syndicats ouvriers et patronaux, les banques, les compagnies d'assurances et les grands groupes alimentaires auraient encore l’infrastructure et les moyens financiers de lancer initiatives et référendums. Du point de vue des principes, la démocratie directe ne serait plus un contre-pouvoir au Parlement. La division du Pays et l’usage abusif de ses institutions sont consubstantiels au régime électif. Jusqu'aujourd’hui, la démocratie directe a permis de limiter les pouvoirs du Parlement; mais paradoxalement, on risque ces prochaines années d’en faire l’alliée.

Une cour constitutionnelle

D’autres  parfois les mêmes  proposent l’institution d’une cour constitutionnelle. Elle serait chargée de contrôler la validité juridique des initiatives. Et il ne s’agit pas du contrôle de la seule et critiquable conformité aux principes dits «impératifs» du droit international. Beaucoup seraient heureux que le respect des arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme soit une partie contraignante de la grille de lecture de cette nouvelle juridiction.

En réalité, cette autorité de contrôle existe déjà. Il s’agit de l’Assemblée fédérale, chargée d’invalider les initiatives ne respectant pas l’unité de matière ou de forme. Par prudence politique, elle ne le fait que très peu. Et il serait précisément erroné de transférer une compétence aussi politique à une cour constitutionnelle. L’initiative de l’UDC sur la primauté du droit suisse complète avec pertinence le dispositif actuel. Elle élimine la question de la conformité concrète des initiatives avec les engagements internationaux antérieurs. Elle évite de transférer sur un collège de magistrats des questions de souveraineté.

La solution n’est pas que juridique

Une réponse institutionnelle et juridique aux problèmes actuels est difficile, peut-être même impossible à apporter sans commettre de nouveaux dégâts. Et il n’est pas aisé d’accepter cela. Celui qui cherche à rédiger l’article constitutionnel réglant définitivement les problèmes actuels souffre du même mal que celui qui introduit l’imprescriptibilité ou la condamnation automatique dans l’ordre juridique suisse. Il voit un problème sans doute réel, prend peur et propose une barrière de papier.

Rappelons simplement que le système actuel a fait ses preuves. Même durant les années troubles et incertaines de l’immédiat après-guerre, nous avions jugé son retour nécessaire et l’avions obtenu du Conseil fédéral.

Il peut sembler facile d’affirmer que c’est un problème de structure mentale, voire d’éducation à la politique. M. Olivier Delacrétaz affirmait récemment l’importance de vivre dans une communauté enracinée, de concevoir son action politique dans le temps long, d’avoir une vie sociale et culturelle riche en notre Pays de Vaud1. Les institutions doivent se coller sur une communauté humaine. Une initiative qui oublierait cela est en fait pratiquement inapplicable. Peut-être est-ce la meilleure leçon à tirer de la saga de l’expulsion des délinquants étrangers. L’UDC a trop demandé la première fois. Et une seconde tentative n’a pas suffi.

On ne résout rien en ne changeant que les seules institutions. Au contraire, en créant ou voulant créer de nouvelles injustices telles l’imprescriptibilité ou l’interdiction des armes, on fragilise un tissu social que la modernité éprouve déjà suffisamment.

C’est dans cette direction qu’il faut travailler.

Notes:

1 Olivier Delacrétaz, «La Méthode corse, A un ami qui désespère de la méthode vaudoise», La Nation n° 2039 du 4 mars 2016.

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