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Lausanne: succès de «Promenades littéraires»

Bertil Galland
La Nation n° 2080 29 septembre 2017

A Lausanne, dans le domaine du livre, deux sources vives se sont unies pour un cadeau durable aux habitants et visiteurs de la ville. Les Editions Noir sur Blanc, à l’avenue de la Gare, et le Centre de recherches sur les lettres romandes, à Dorigny, donc Vera Michalski et Daniel Maggetti et leurs équipes, ont combiné leurs savoir-faire pour une publication qui s’impose comme l’une des plus réussies de l’année 2017. J’apprends qu’il a fallu remettre cet ouvrage sous presse.

Par les dessins en foison d’une nouvelle venue, Fanny Vaucher, et par le graphisme allègre de vingt itinéraires, Lausanne, promenades littéraires confère une dynamique et une séduction à l’histoire culturelle de la capitale vaudoise. Il s’agit d’un patrimoine souvent ignoré de ses habitants et parfois proche des confidences, épisodes et propos transmis avec ferveur dans le cercle des lettrés. Voici un concentré de tribulations individuelles à des adresses très précises, héritage de textes qui abondent en émotions intimes, algarades, solitudes, rencontres et amitiés fidèles, quelquefois commémorés à côté des portes d’entrée par des plaques votives.

Ces sagas étaient devenues semi-légendaires et voici que cette Lausanne secrète se révèle par tant de témoignages. La caractéristique commune de ces passants entre la rue de Bourg et Chauderon, c’est qu’ils ont tous joué leur destin par leur plume. Nous ne sommes plus dans la littérature des schémas scolaires. D’où notre bonheur de parcourir ces pages en dégustant des styles. Ils transfigurent les avenues les plus banales. Ces humeurs ont nourri les rumeurs d’une ville, avec Jacques Chessex en chef fantôme entre l’Evêché et le Café Romand.

Ces itinéraires rendent une âme à la ville. Elle s’est parfois flattée de rayonner en quartier général des lettres romandes. Mais elle fut et reste mal aimée comme tête du Pays de Vaud et sa topographie tourne le dos au canton. Gustave Roud, chantre de sa campagne perdue, eut le sentiment de «siéger» dans un conseil d’administration en travaillant à la rédaction de la revue Aujourd’hui, à Saint-François, actuellement sous l’enseigne de l’UBS, dans un vaste bureau du mécène et financier en métallurgie Henry-Louis Mermod, son éditeur.

Vingt chapitres, comme autant de Promenades littéraires, sont ordonnés au fil d’événements lausannois qui se succèdent de la Réforme à nos jours. Sans oublier le Beau-Rivage et le Palace, le parcours est enrichi par les haltes des écrivains, avec détails et illustrations, en de mythiques cafés, hôtels, salles de spectacle, écoles, églises et jardins publics, de Mon-Repos au Denantou. Mais ce livre ne saurait être confondu avec un guide touristique, bien qu’il ait inspiré, jusqu’à la fin de l’été dernier, des circuits pédestres organisés.

Nous bénéficions là d’une synthèse d’années de «recherches» souvent liées à des travaux universitaires. La ville demeure inlassablement attachée à son lac et, topographiquement ou pire, elle tourne le dos à son arrière-pays. Mais les génies en voyage, à Ouchy ou ailleurs, sont surtout préoccupés par eux-mêmes. Ceux que nous trouvons mêlés en ces pages aux auteurs proprement lausannois, et quoi qu’ils aient écrits les uns sur les autres, déambulant de la Gare CFF aux Escaliers du Marché, ils rompent tous avec les platitudes. Ils tranchent tous sur les topos érudits. En artistes, ils laissent toujours éclater leurs sentiments. Par ce livre, Lausanne se nourrira d’épisodes fétiches nés des œuvres, des déplorations, des ouvrages, des délices, des célébrations, des désespoirs intimes ou des ruptures de Benjamin Constant, Alexandre Vinet, Simenon, Gilles au Coup de soleil dans les caves de l’Hôtel de la Paix, Albert Cohen trouvant son Ariane dans sa baignoire à Ouchy, Anne Cuneo en demi-orpheline surveillée par les bonnes sœurs, Corinna Bille venue mettre au monde discrètement à la Riponne le petit Valaisan dont Chappaz était le père.

Lausanne humaine et ouverte aux contemporains, Pajak, Tâche, Roland Jaccard, Marius Popescu, Yves Rosset ou Julien Burri. Ces Promenades constituent aussi la plus récente et l’une de nos bonnes anthologies littéraires. Mais quoi! Même si le lieu célébré n’est que la modeste métropole vaudoise, l’ensemble qui nous est servi n’est-il pas relevé par les remarques que Lausanne a inspirées à Chateaubriand, Gibbon et Strindberg? De plus cet ouvrage a convoqué les auteurs de bandes dessinées et de polars qui ont fantasmé à leur façon sur le Grand Pont, La Palud ou la Cathédrale.

On doit l’idée de ces Promenades littéraires à une journaliste, Isabelle Falconnier, chargée de concevoir une politique du livre à Lausanne. Dès lors devaient s’affronter le pouvoir et la poésie. Le paradoxe de cet ouvrage, et l’un de ses autres mérites, c’est qu’il ravive pour de nouvelles générations les considérations cruelles de Ramuz sur l’urbanisme dans sa ville natale. Nous dépassons en ces pages les informations biographiques. S’il est vrai qu’il ne faudra jamais oublier de penser à l’enfance de l’écrivain à l’angle de la Riponne où vivait son père commerçant, entre le site de l’ancien collège cantonal et la rue Haldimand où le jeune homme vint présenter, chez le papetier-éditeur tout à côté, le manuscrit naïf de sa première œuvre, nous goûtons aussi, sous sa plume d’adulte, aux colères qui furent l’un des traits de son envergure. Sur les grands ratages des autorités, dans le développement de Lausanne, Ramuz s’indigna et s’expliqua. En 1930, il publia son libelle Sur une ville qui a mal tourné. Analysant des erreurs pendables, il déplora qu’en charge des constructions, au lieu d’«administrateurs», la ville ou le canton n’ait pas vu agir un homme (il souligna), c’est à dire un esprit capable d’une vision globale. Laquelle?

L’écrivain donne l’exemple de Saint-François, centre lausannois des affaires et de toutes rencontres. A coups de millions, les édiles ont laissé s’élever «au midi de la place», devant l’église médiévale, l’énorme écran opaque et définitif de la poste et des banques: à jamais il obtura le dégagement prodigieux que le plein cœur de Lausanne offrait sur le Léman. Ramuz rêve là d’«une succession d’esplanades avec jardin public», où, assis aux bancs, cafés et terrasses, «on aurait pu l’été compter les bateaux, contempler des kilomètres et des kilomètres d’eau bleue ou grise ou blanche ou noire, ouverte de toute part». L’auteur de Besoin de grandeur visualise l’une des villes qui aurait pu être l’une des plus plaisantes d’Europe.

Au contraire, Ramuz effaré voit monter au ciel, au bout du Grand Pont, le gratte-ciel du Métropole. Mais on peut se demander si l’inventeur génial d’une nouvelle manière d’écrire le français et notre plus grand auteur après Benjamin Constant, n’est pas resté, dans la zone des dépôts du Flon, limité dans ses vues de la modernité en architecture. Car nous sentirions un vide, aujourd’hui, dans tout ce qui bouleverse le quartier de Bel Air, sans l’autorité de cette tour, articulant le saut de la vieille ville sur les nouveaux bas-quartiers du XXIe siècle. Charles-Albert Cingria, l’arpenteur le plus inventif des rues de Lausanne, était loin de la détester.

Référence:

Sous la direction de Daniel Maggetti et Stéphane Pétermann, Lausanne, promenades littéraires, 234 pages, illustré, Editions Noir sur Blanc.

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