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Nouvelles menaces

Julien Donzel
La Nation n° 2126 5 juillet 2019

Le 1er mai dernier, le Conseil fédéral a présenté son appréciation annuelle de la menace1, rapport qui expose quels sont les dangers qui pèsent sur notre pays.

Il en ressort de manière frappante qu’aucun État souverain n’est mentionné comme directement menaçant; hormis un résumé et une analyse de la situation géopolitique actuelle, le Conseil fédéral ne fait référence à des pays qu’en tant que lieux, ou victimes de menaces similaires à celles qui pèsent sur nous. Il note même dans sa conclusion qu’il y a «lieu de se demander, au vu des multiples ramifications et des liens étroits qui les lient, si les acteurs majeurs sont réellement prêts à ne serait-ce qu’envisager une confrontation militaire d’envergure entre eux»2.

Pourtant, les menaces qui pèsent sur la Suisse ne sont pas imaginaires. Espionnage étatique ou industriel, extrémisme politique de gauche et de droite, cyberattaques contre les infrastructures critiques, ou encore terrorisme sont autant de dangers présentés par des individus bien que ceux-ci soient parfois soutenus par des Etats.

Le monde a donc bien changé; il n’est plus fait mention de guerre totale, où deux souverains ennemis consacrent toutes leurs ressources à vaincre leur adversaire. Les Etats d’aujourd’hui ne combattent plus un ennemi clair, mais une menace diffuse, venant de quidams.

Pour comprendre comment on en est arrivé à cette situation, il faut d’abord étudier le concept de guerre hybride.

Ce nouveau type de guerre se différencie de la guerre conventionnelle par trois caractéristiques principales: ses acteurs; les moyens engagés; et l’espace du conflit.

Les adversaires sont une combinaison flexible d’acteurs étatiques et non-étatiques, allant du groupuscule isolé au pays souverain en passant par les milices locales et les groupes terroristes; on pense à l’Etat islamique, évidemment, mais aussi aux milices qui ont occupé la Crimée en 2014, et également à l’aile paramilitaire du Hezbollah. On ne manque pas d’exemples.

Ces adversaires utilisent tous les moyens à leur disposition, de guerre conventionnelle ou non, de terrorisme, et même les moyens criminels; ceci en particulier pose problème pour les forces de guerre conventionnelle, qu’il s’agit aujourd’hui de préparer à ces nouveaux types de menaces.

Une guerre hybride mène le conflit autant sur le champ de bataille que dans la population indigène et devant l’opinion publique internationale. Il devient aussi important de s’assurer le soutien de la population indigène au conflit que de neutraliser l’adversaire. L’annexion en 2014 de la Crimée par la Russie a été grandement facilitée par des opérations de propagande à large échelle qui lui ont permis de convaincre les habitants de la Crimée qu’ils préféreraient être gouvernés par Moscou.

Les effets concrets de cette évolution se font ressentir jusque dans l’instruction des troupes combattantes dans l’armée suisse. Dès l’école de recrues, on explique aux soldats que les engagements auxquels ils sont entraînés auront lieu contre des adversaires qui font de la guérilla et qui ne respectent en rien le droit de la guerre; droit qu’eux-mêmes doivent impérativement respecter sous peine de se mettre la population locale à dos. On n’envisage plus d’engager les fantassins uniquement pour occuper le terrain, mais désormais aussi pour s’assurer le soutien des indigènes.

Très concrètement, on présente aux soldats un scénario simple, mais typique d’une guerre hybride. Dans un premier temps, un État adverse lance des campagnes de propagande visant à décrédibiliser les institutions du pays ciblé, et soutient la création de milices paramilitaires ainsi que de groupes extrémistes. Ce sont ensuite ces deux catégories d’acteurs – ni l’une ni l’autre officiellement rattachée à l’État – qui déstabilisent le pays cible et enlèvent au gouvernement le monopole de la violence. On inclut même à cette étape une potentielle milice locale, créée pour lutter contre les agresseurs mais aussi contre le gouvernement jugé inefficace. C’est seulement après le succès de ces opérations d’influence, et une fois que les groupes non-étatiques ont déjà suffisamment érodé la puissance militaire du pays cible, que l’État agresseur engage ses propres troupes dans une guerre conventionnelle.

Tout ce contexte devient une clef d’analyse précieuse pour la lecture de l’appréciation annuelle de la menace; le Conseil fédéral y parle autant d’opérations d’influence, de propagande et de choix de thématiques frappantes par les extrémistes politiques – soit des moyens qui visent à gagner les esprits – que de terrorisme et de cyberattaques – soit des moyens de guerre non-conventionnelle. Ces menaces qui pèsent sur nous ne sont pas des fins en soi; elles ne sont que la première étape d’un nouveau type de guerre.

Dans ce contexte, on comprend bien que le Conseil fédéral reste sur ses gardes et appelle à maintenir les capacités autonomes de la Suisse, tant au niveau des renseignements que de l’organisation des instruments intérieurs de sa politique de sécurité.

Le bilan est simple: notre autonomie opérationnelle sera la condition sine qua non de notre liberté.

Notes:

1  Appréciation annuelle de la menace – Rapport du Conseil fédéral aux Chambres fédérales et au public du 1er mai 2019, FF 2019 3101(-3110)

2  Idem, p. 8 (FF 2019 3108)

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